Manchester by the sea

2016

Avec : Casey Affleck (Lee Chandler), Michelle Williams (Randi Chandler), Kyle Chandler (Joe Chandler), Lucas Hedges (Patrick), Gretchen Mol (Elise), C.J. Wilson (George). 2h18.

Sur un bateau de pêche, deux hommes et un enfant d'une dizaine d'années profitent du beau temps.

Lee Chandler, déblaie mécaniquement la neige  des entrées d'un groupe d'immeubles de la banlieue de Boston dont il est l'homme à tout faire. Homme bourru, efficace, il répond avec un professionnalisme dénué de tout investissement émotionnel à ses clients et clientes. Un soir, dans un bar, il déclenche une bagarre et se fait rouer de coups.

Lee apprend par téléphone que son frère, Joe, vient d'entrer d'urgence à l'hôpital. Lee quitte immédiatement son travail et se rend à Manchester, sur la côte à deux heures en voiture de là. Arrivé à l'hôpital de Manchester, il apprend la mort brutale de Joe. Dans l'ascenseur qui descend vers la morgue,  il se souvient, qu'il y a huit ans, le Dr. Bethany avait diagnostiqué une insuffisance respiratoire laissant une espérance de vie très courte à son frère. A ce moment là, tout allait pourtant pour le mieux, c'était l'époque de la sortie en bateau avec Joe et  Patrick  son fils de neuf ans. Lee était très amoureux de Randi avec qui il venait d'avoir son troisième enfant.

Lee apprend la nouvelle du décès de son père à Patrick, sur le terrain de hockey sur glace sur lequel il s'entrainait avec une énergie parfois mal contenue. L'adolescent  qui a maintenant dix-sept ans ne semble pas outre mesure surpris par la mort de son père à laquelle il s'attendait. Pourtant le fait qu'il ne puisse être enterré du fait d'une terre gelée et maintenu dans un congélateur, lui est difficile à supporter. En revanche Patrick continue sa vie amoureuse  et amicale

Chez le notaire, Lee découvre qu'il est désigné comme tuteur de son neveu Patrick. Lee refuse cette responsabilité et  lui reviennent alors les circonstances tragiques qui l'ont séparé de sa femme Randi. Un soir de soulerie avec des copains, il avait oublié de remettre le pare- feu de la cheminée et provoqué ainsi la mort  des trois enfants du couple, brulés vifs dans la maison en flammes.

Joe refuse de s'installer à Manchester et impose à Patrick de vendre le bateau dont le moteur est usé et de venir habiter avec lui à Boston. Patrick refuse et profite du délai imposé par le nécessaire dégel pour l'inhumation pour continuer sa vie amoureuse passant de Silvie à Sandy sans convaincre son oncle de  s'intéresse à Jill la mère de sa copine.

Patrick pense qu'il pourrait être confié à sa mère, alcoolique notoire qui avait quitté le domicile conjugal à l'état d'épave il y a quelques années. Il la retrouve mais elle est dorénavant la compagne d'un puritain qui a anesthésié sa sensibilité.

C'est finalement George qui adoptera Patrick qui reste ainsi à Manchester. En vendant les clubs de hockey de collection de Joe, Lee finance le nouveau moteur du bateau. Lee va retrouver Boston mais avec un meilleur travail et revendra de temps en temps voir son neveu.

Avec sa voix éraillée, son regard bleu perdu et sa violence à fleur de peau, Casey Affleck  surjoue (il aura certainement l'Oscar pour sa performance) le survivant au malheur. Il faudra toutefois attendre la troisième partie du film pour voir ce bloc de glace humain se fissurer un peu.

Toute la première partie, avant la révélation, ne joue que sur l'attente de celle-ci. On pressent que la catastrophe a déjà eu lieu et il ne reste plus qu'à savoir comment. Le film se révèle alors  trop systématique dans son  procédé du flash-back et du flash mental jusqu'à la révélation du drame du pare-feu oublié un soir de soulerie qui provoqua la mort  des trois enfants du couple.  Il restera ensuite encore un flash-back, tout aussi doloriste, pour expliquer le départ de Lee dans la maison la plus minable possible et l'aide apportée alors par Joe, accompagné de Patrick. La grande scène du traumatisme terrible, appuyé par  le larmoyant Adagio d’Albinoni ne fait pas dans la finesse : est-il nécessaire au scénariste de tuer trois enfants pour décrire le parcours d'un homme brisé ployant sous le poids de la culpabilité ? N'y avait-il pas moyen de trouver plus universel, moins terriblement anecdotique ?

Film de survivant plus que film de damné

Guère étonnant alors en effet qu'aucune porte ne s'ouvre pour Lee (refus d'être tuteur, refus de tenter quoi que ce soit avec Jill comme avec sa femme) qui permettrait  à son personnage principal de sortir de son hiver et de son envie d'être châtié (les bagarres déclenchées pour prendre des coups). Sans soute pourtant ira-t-il un peu mieux, acceptant de revoir son neveu de temps en temps et de prendre un travail où il sera moins exploité.

Autour de ce drame central gravite en effet, et c'est probablement ce qui est le plus réussi, la petite communauté de Manchester qui fait preuve, par comparaison, d'une grande vitalité. Ainsi Patrick qui continue sa vie amoureuse passant de Silvie à Sandy. Randi refait sa vie tout en espérant revenir vers son ancien mari. Le film fait ainsi preuve d'une grande finesse psychologique. Les vagues des rencontres avec autrui et surtout son neveu changent quand même Lee. La cérémonie funèbre avec l'arrivé de Randi,  la confrontation de Patrick avec Lisa, sa mère, sont aussi très émouvantes

Mettre en scène une telle catastrophe, un tel traumatique pour rester dans la demi-teinte de la fine explication psychologique mâtinée de contrastes saisonniers laisse toutefois une impression de pusallinimité vis à vis du sujet traité. La construction savante  à l'aide de petites touches ou de petites vignettes ne permet pas d'entrer dans la douleur terrible du personnage, juste de compatir... ce qui, après tout, n'est pas si mal.

Jean-Luc Lacuve le 23/12/2016