Primrose path
1940

Dans la cabane de fortune qu'elle habite dans une ville déshéritée à proximité de San Francisco, Ellie May essaie de ne pas grandir trop vite. Son père intellectuel déclassé est un ivrogne au chômage qui médite la phrase du philosophe Ménandre : "Nous vivons non selon nos désirs mais comme nous le pouvons". C'est donc sa mère qui ramène l'argent du ménage après de longues virées en compagnie d'un généreux protecteur. Elle ramène aussi toujours des cadeaux forts appréciés de la jeune Honeybell et de Grandma qui l'élève mais beaucoup moins de Homer qui sait que sa femme se prostitue ou de Ellie qui ne souhaite pas porter de bas qui l'habilleraient en femme, proie des jeunes mecs du quartier.

C'est donc avec des tresses qu'Ellie May s'en va chercher des clams sur la plage dans l'espoir illusoire d'un bouillon qui guérirait les maux d'estomac de son père. Sur le chemin elle accepte de se faire prendre en voiture par le vieux Gramp qui gère un restaurant et une station essence. Elle y rencontre Ed Wallace avec qui elle partage le même humour vachard et bon enfant.

Ed la rejoint sur la plage et lui monter comment trouver els clams. Il fait tomber son portefeuille que lui dérobe Ellie May. Il la raccompagne en moto chez elle mais, arrêté par la police, il se voit contraint de sortir son portefeuille... que lui rend alors Ellie May pour qu'il échappe à une lourde amande.

Le soir même, elle s'habille et se maquille pour le rejoindre au dancing. Sa mère la conseille tout en pleurant la fin de l'enfance de sa fille. Ed ne reconnaît d'abord pas Ellie May déguisée en femme mais lorsque Carmelita, la jolie danseuse portoricaine, se moque d'elle, il sort discuter avec elle.

Terriblement amoureuse, Ellie May lui fait croire que sa famille l'a cassée qu'elle ne peut rentrer chez elle et, après avoir obtenu deux baisers, marche vers le bout du port pour se jeter à l'eau. Ed la retient... et l'épouse.

Dans le restaurant de la station service, tous apprécient la charme et l'humour d'Ellie May et les jeunes mariés nagent dans le bonheur. Mais Ed voudrait rencontrer la famille de Ellie May...

Habituée des comédies, Ginger Rogers trouve avec Primrose Path un formidable rôle à contre-emploi. Gregory La Cava y dresse une fresque sociale cruelle et sans concession où, après une romance délicate et sensible, la rupture du couple conduit l'héroïne à se prostituer pour survivre.

La mise en scène s'avère d'autant plus cruelle qu'aucun des personnages n'est chargé. Grandma possède un égoïsme qui manque bien de faire le malheur de sa petite-fille mais seulement parce que, pour elle, l'amour est uen tromperie. Hawkins qui avait pris en charge la mère d'Ellie May s'avère prévenant et attentif justifiant par là la bonne humeur passée de la mère. Celle-ci déclarera d'ailleurs : "J'ai ri bien souvent alors que je n'avais pas le cœur gai et j'ai pleuré, beaucoup pleuré, alors que je n'avais pas le cœur lourd, c'est agréable" comme un écho sensible à la phrase préférée de son mari : "Nous vivons, non selon nos désirs, mais comme nous le pouvons" du philosophe Ménandre (300 av JC) qui vient s'inscrire en incrustation au premier plan du film sur les taudis de la banlieue côtière de San Francisco.

La constante affection dont font preuve Ellie May et sa mère envers ceux qui sont plus fragiles (le père, la jeune sœur et la veille et égoïste grand-mère) est la preuve que leur coeur s'est maintenu pur comme le conseillait le père : "Ne laisse pas tes rêves s'envoler, après il ne restera rien. Si tu les laisses partir, il faudra t'en inventer d'autres et ils ne seront jamais aussi bien."

Dans ce contexte la romance sentimentale avec Ed est d'une intensité exceptionnelle. Les deux amants ont la même communauté de caractère : impertinent et joyeux ("Critique le bouillon mais pas le café, il n'est pas assez fort pour répliquer". "Le ragoût du concurrent est peut-être meilleur mais nous, on offre le bicarbonate". "Ce n'était pas une dispute. C'était un point final"), le même romantisme (la déclaration d'amour sur le port éclairé d'une faible lanterne ou le nom gravé sur le bateau).

On notera aussi que La Cava sait ménager des effets intenses. Le nom d'Ellie May sur le bateau n'est pas montré lorsque Ed le peint, ce qui n'aurait pas accentué le romantisme du moment car le spectateur préfère le découvrir aux travers des yeux embués d'Ellie May. Le nom est seulement montré, dévasté lorsque Ed le brûle au chalumeau après avoir chassé sa femme.

Le son de la moto qui vient chercher Ellie May ou emporte Ed, seul, est aussi employé avec précision. Le bruit de la moto est comme un espoir qui se dissipe dans le bruit du train.A la fin, il revient, inespéré retour miraculeux, entendu dans le taxi grâce à Hawkins.

Jean-Luc Lacuve le 15/09/2008

 

Test du DVD

Editions Montparnasse, septembre 2008 - Format 4/3 - Mono. Film 95 minutes. Disponible en VO et VOST anglais.

   
Test DVD

Présentation brève mais riche d'informations de Serge Bromberg.

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Avec : Ginger Rogers (Ellie May Adams), Joel McCrea (Ed Wallace), Marjorie Rambeau (Mme Adams), Henry Travers (Gramp), Miles Mander (Homer Adams), Queenie Vassar (Grandma), Joan Carroll (Honeybell Adams), Vivienne Osborne (Thelma), Carmen Morales (Carmelita). 1h33.

dvd chez Carlotta Films