Shokuzai -
Celles qui voulaient se souvenir
- Celles qui voulaient oublier

2012

Thème : Les fantômes

(Shokuzai). D'après le roman de Kanae Minato. Avec : Kyôko Koizumi (Asako Adachi), Hazuki Kimura (Emili), Yû Aoi (Sae), Mirai Moriyama (Takahiro Ôtsuki), Eiko Koike (Maki), Kenji Mizuhashi (Tanabe), Sakura Ando (Akiko), Chizuru Ikewaki (Yuka Ogawa), Ayumi Ito (Mayu), Tomoharu Hasegawa (Keita Murakami), Teruyuki Kagawa (Le professeur). 1h59 et 2h28.

Shokuzai - Celles qui voulaient se souvenir. Lorsque Emili arrive dans sa nouvelle école à Ueda, elle se lie rapidement d'amitié avec quatre autres petites filles, Sae, Maki, Yuka et Akiko. Un jour, Sae remarque que sa poupée a disparu et après en avoir parlé à ses amies, elle réalise que de nombreuses autres poupées ont été volées dans leur petite ville. Lors d'un après-midi, les filles s'amusent sur le terrain de l'école lorsqu'un homme les interrompt et leur demande de l'aide à l'intérieur du gymnase. Emili l'accompagne mais ne revient pas. Violée puis tuée par l'inconnu, Emili est étendue par terre dans la grande salle silencieuse. Parce que ses amies n'ont jamais pu se rappeler du visage de l'homme, justice ne sera pas rendue.

Au bout de six mois d'une enquête policière totalement infructueuse, Asako, la mère d'Emili les convoque chez elle et leur déclare que tant qu'elles ne se souviendront pas du visage de l'homme qu'elles ont pourtant vu, elle ne leur pardonnera pas et elles devront payer pour leur faute.

15 ans plus tard, Sae, Maki, Yuka et Akiko mènent des existences difficiles, toujours traumatisées par leur passé.

Episode 1 : Poupée de France

Sae, employée dans un salon de relaxation, rencontre Takahiro Ôtsuki, le fils d'une grosse société qui lui propose le mariage. Elle lui confie qu'elle n'a jamais eu ses règles et qu'elle ne peut avoir d'enfant. Lui prétend qu'elle l'aidera à s'ouvrir au monde car il désire enfin quelque chose que sa famille ne lui a pas désigné. Mais c'est un leurre, Takahiro, gravement névrosé, ne peut sortir de l'enfance. Il aime Sae comme une poupée du genre qu'il volait enfant. Sae qui refusait intimement de grandir suite au traumatisme du meurtre d'Emili s'arrange avec cette perversité croyant que son Takahiro l'aime. Le jour du mariage, Asako vient rappeler à Sae qu'elle lui doit une compensation pour n'avoir pas mis fin à son malheur en aidant à trouver l'assassin.

Bien vite Sae se rend compte que si Takahiro veut la protéger du monde extérieur, c'est pour mieux la garder enfermée pour lui… Trois nuits, Sae accepte de jouer la poupée, tente vainement de partager sa peine avec sa mère, puis en époussetant les meubles des douleurs la prennent. Ses premières règles arrivent et lorsqu'elle demande de l'aide à Takahiro, il la rejette. Elle le tue à coups de lampe de chevet… Au petit matin, Sae erre sur les bords de la rivière Sumida où elle croise Asako interloquée. Sae n'a réussi qu'à percer le mystère du vol des poupées mais oui, Asako en convient, elle a payé sa dette.


Episode 2 : Réunion extraordinaire des parents d’élèves

Maki est devenue une institutrice qui pratique le kendo, elle est tellement sévère qu'elle reçoit des réprimandes des parents et du directeur. Un jour à la piscine un intrus fait peur à ses élèves. Elle va les défendre en le frappant violemment à coups de bâton, elle est alors remerciée pour son courage et son acte de bravoure. Son collègue et ami, Tanabe, le prof de sport qui la défendait quand elle subissait des reproches est cette fois en disgrâce et suspendu pour avoir été lâche.

Mais le directeur adjoint jalouse la popularité de Maki et répand le bruit qu'elle a fait preuve d'un excès de violence. Maki, traumatisée, va alors se révéler effectivement violente dans un cours de kendo. Ses élèves, effrayés, désertent sa classe. Une réunion extraordinaire des parents d'élèves est organisée pour entendre les excuses de Maki. Celle-ci avoue alors les vraies raisons de sa violence : il est faux qu'elle se soit interposée pour défendre les enfants : elle a agi pour elle, pour compenser son impuissance, ressentie enfant. Devant les parents interloqués, Maki démissionne et quitte la salle.

Asako, conviée par Maki pour écouter sa confession lors de la réunion des parents d'élèves, lui demande de renoncer à démissionner. Elle pourra ainsi continuer de veiller sur les enfants des écoles. Maki refuse. Elle ne peut être heureuse, elle est toujours en pénitence. Surgit alors Tanabe, qui lui en veut de son attitude héroïque qui l'a déshonoré. Il lui balance son poing dans la figure. Maki fait une mauvaise chute et se fracasse le crane contre le béton. Avant de mourir, elle dit revoir le visage de l'assassin d'Emili mais expire avant de pouvoir le décrire à Asako.

Shokuzai - Celles qui voulaient oublier

Episode 3 : La famille ours

Akiko se retrouve en prison. Depuis le meurtre, elle vivait toujours chez ses parents comme une ourse sauvage, sans rien faire. Un jour son frère arrive avec sa nouvelle compagne (qui a déjà une petite fille d’une précédente union). Akiko s’ouvre peu à peu au contact de cette fillette. Alors que pour la première fois Akiko s’habille et se maquille en femme pour faire des courses en ville, elle va surprendre son frère proche d’une collégienne et va le soupçonner d’attouchement sur la fillette à laquelle elle est attachée. Cette fois Akiko ne va pas rester sans rien faire…

Episode 4 : Les 10 mois et 10 jours

Yuka a vécu dans l’ombre de sa grande soeur malade qui prend toute l’attention de leur mère. Yuka est maintenant fleuriste. Il y a toujours eu une relation bizarre entre les deux sœurs, la grande s’arrange pour avoir ce que voulait la petite. Sa grande sœur a épousé un charmant policier, Keita Murakami, ce qui était le désir de Yuka, mais ils ne peuvent pas avoir d’enfant. Yuka va séduire ce policier et coucher avec lui, elle sera enceinte. Un jour Yuka reconnaît à la télévision la voix du meurtrier d’il y a 15 ans. Elle veut négocier cet indice avec la mère de la défunte petite Emili…

Episode final : Expiation

Après que Sae, Maki, Akiko et Yuka se soit absoutes de leur pénitence, la mère d'Emili est enfin sur les traces du meurtrier de sa petite fille 15 ans plus tard. Elle va se rendre compte malheureusement que celui-ci ne lui est pas inconnu et l’horreur de la vengeance apparaîtra…

Pour la première fois au cinéma, une série télévisée fait l'objet d'un transfert en salle de cinéma sans autre modification qu'une réduction du nombre de rendez-vous. La série, programmée en cinq épisodes au Japon en 2012, est transformée par les distributeurs français en deux films Shokuzai - Celles qui voulaient se souvenir (sortie nationale le 29 mai 2013) et Shokuzai- Celles qui voulaient oublier (sortie nationale le 5 juin 2013). Cette transplantation se distingue du mouvement inverse qui va du film à la série : Les mystères de Lisbonne (Raoul Ruiz, 2010) également destiné à la télévision avait été diffusé après sa sortie salle en deux parties en six épisodes, en mai 2011 sur la chaîne Arte. Carlos (Olivier Assayas, 2010) avait fait ensuite l'objet de d'une série télévisée plus longue que le film. La transplantation se distingue aussi du film cinéma beaucoup plus court et avec un programme dramatique propre fait après une série télévisée à succès dont le modèle reste Twin peaks (David Lynch, 1992)

La thématique de la malédiction mise en scène dans le prologue

La série télévisée comprend un prologue (diffusé avec le premier épisode), quatre épisodes successivement consacrés à un membre de la bande des quatre jeunes filles n'ayant pu empêcher le drame, puis un cinquième épisode en forme d'épilogue qui assure la résolution du crime. Le prologue, superbe, met en scène la façon dont les quatre petites filles sont confrontées au drame et qui sera à l'origine de leur façon de réagir dans chacun des quatre épisodes.

Sae veille sans bouger sur le corps d'Emili. Elle sera plus tard figée dans cette attitude et utilisée alors à des fins perverses par son mari. Maki n'a pas trouvé la maitresse qu'elle était partie appeler et sera toujours à la recherche d'une figure de l'autorité qu'elle se résoudra à incarner elle-même. Akiko sent la main du policier se poser sur elle pour la réconforter mais elle se demande si elle est aussi innocente que ça. Plus tard, elle finira par se convaincre que son frère est aussi un pervers. Yuka a été jetée à terre par Asako et, devenant victime, rejette tout sentiment de culpabilité. Ces attitudes des quatre petites filles sont précisément soulignées par Kurosawa dans le prologue. Celui-ci fait aussi la part belle à la figure du travelling arrière notamment lorsqu'Asako, la mère, le lendemain de l'assassinat, est effondrée sur le parquet du gymnase où est morte sa fille.

On trouvera ensuite trace des thèmes de la malédiction et des fantômes chers à Kiyoschi Kurosawa. L'apparition d'Asako dans chacun des épisodes vient rappeler l'anathème lancé contre les quatre enfants devenues jeunes filles : si elles ne parviennent pas à donner des indices sur le coupable (ce qu'elles sont incapables de faire, vu le choc), elles devront lui donner une compensation à sa douleur.

Les variations sur un thème exploités dans une série longue

La façon de réagir face au traumatisme de l'enfance et l'apparition fantomatique sont toutefois un programme dramatique insuffisant pour faire fonctionner chaque épisode. Le titre de chacune des deux sous-parties du film n'est guère justifié : pas plus les deux premières que les deux dernières jeunes filles ne cherchent à se souvenir ou à oublier puisque toutes vivent avec ce traumatisme qui s'actualise simultanément après quinze ans de latence.

Kurosawa ne triche pas avec la situation traumatisante du départ et ne cherche pas à faire résoudre le crime grâce aux souvenirs des quatre jeunes femmes. Tout juste Yuka viendra, sans justification, à la fin de l'épisode quatre, mettre par hasard Asako sur la piste de l'assassin en reconnaissant sa voix (!!!) dans un reportage radio. Kurosawa, fidèle au principe sociologique régissant les séries télévisées, délaisse les variations sur la situation initiale pour s'étendre sur la description de différents milieux sociaux du Japon contemporain. Chacun des épisodes vaut pour l'analyse des névroses des héritiers à Tokyo, du système éducatif japonais, d'une vie à la campagne ou des jalousies entre sœurs.

Des lors, le cinquième épisode, Expiation, apparait comme fort mélodramatique, empli de coups de théâtre et comme la punition d'Asako pour avoir lancé la malédiction sur quatre enfants. Il s'agit d'un nouveau sujet, presque indépendant du reste.

Si la série est décidemment trop longue pour convaincre comme film de cinéma, elle n'en demeure pas moins addictive. Bien rares seront les spectateurs qui, ayant vu le premier épisode, se passeront d'aller jusqu'au bout des 4h30.

Jean-Luc Lacuve le 29/05/2013