Pas de scandale

1999

Avec : Fabrice Luchini (Grégoire Jeancour), Isabelle Huppert (Agnès, sa femme), Vincent Lindon (Louis, son frère), Vahina Giocante (Stéphanie), Sophie Aubry, Thérèse Liotard (Madame Guérin). 1h45.

Libéré de prison où il vient de passer quatre mois pour des malversations dont on ne saura rien, l'industriel Grégoire Jeancour retrouve sa femme Agnès dans un café. La distance entre eux est accentuée par leur vouvoiement. Grégoire se tait et son silence intrigue et inquiète ses proches, en particulier son frère Louis, animateur de talk show à la télévision, qui voudrait connaître sa stratégie de défense. Mais chez lui comme au journal télévisé, Grégoire garde le silence. Il s'installe dans une pièce inutilisée de leur grand appartement et tente de se rapprocher d'Agnès en lui disant qu'il l'aime.

Mais Agnès semble plus gênée que touchée par cette nouvelle situation, qu'il veut substituer à leur confortable indifférence passée. Son séjour en prison l'a profondément changé dans son rapport aux autres ; il n'a plus que mépris pour sa classe sociale ; et il est porté par un élan d'empathie en direction de ceux que, jusque-là, il ne voyait même pas.

En témoigne la relation ambiguë qu'il noue avec Stéphanie, la jeune coiffeuse de sa femme. Venue chez les Jeancour soi-disant pour rapporter un foulard oublié par Agnès - en fait pour parler à celle-ci de son ami William, qui comme Grégoire, vient de sortir de prison - Stéphanie croise ce dernier et il se met à lui raconter sa vie. Il continuera en allant la voir à son travail, en l'invitant à boire un verre dans un café, puis en la raccompagnant chez elle à Levallois.

Là, dans la rue, elle l'embrasse en lui disant que contrairement à ce qu'il s'est mis en tête, il ne l'aime pas. Ce rendez-vous impromptu lui a fait oublier de participer à l'émission de son frère.

Louis, dont le couple avec la jeune Véronique bat de l'aile, voit revenir plusieurs fantômes : celui de son père, qui l'a presque déshérité au profit de Grégoire, celui de Laure, jeune femme d'Arras - la ville de son enfance - qui lui a donné une petite fille qu'il n'a jamais reconnue.

Alors qu'il se rend pour la première fois à son travail, Grégoire rencontre William dans un café et s'aperçoit qu'ils se sont connus en prison : il éprouve pour lui une brusque bouffée amicale.

L'ensemble de la famille se retrouve pour l'anniversaire de la mère de Grégoire et de Louis. Les deux hommes se disputent et Louis profite de la tension ambiante pour annoncer publiquement l'existence d'Inès, sa fille.

Grégoire quitte le dîner. Agnès convainc Louis de le rattraper. Il le rejoint dans le métro, s'assied face à lui. Les deux frères se sourient…

La mise en scène de Benoît Jacquot consiste à déjouer les pièges du scénario. Derrière les apparences d'un monde où se croisent des personnages aussi typés et aussi hétérogènes socialement, un fil rouge apparaît, celui du renoncement, pour chacun, au jeu des apparences, afin de laisser une chance à la vérité d'avenir. Pour Grégoire, elle consiste dans l'ouverture au monde, via un détour par l'enfance.

Sous le glacis d'un univers régi selon des lois rigides, Benoît Jacquot par la seule force de sa mise en scène, inscrit la trace d'un désir neuf, qui se présente toujours dans son cinéma sous les traits de la jeunesse. Ce film aux couleurs chaudes n'est pas sans une étrange beauté. Légèrement atone, presque bridé et frôlant l'académisme, il est porté par des acteurs qui excellent dans ce chassé-croisé où chacun doit s'efforcer de retrouver le chemin vers une plus grande solitude.

 

Source : Serge Toubiana dans les Cahiers du cinéma, Octobre 1999, n° 539