21 grammes

2003

Genre : Mélodrame

(21 grams). Avec : Sean Penn (Paul), Noemi Watts (Cristina), Benicio Del Toro (Jack), Charlotte Gainsbourg (Mary). 2h04.

Entre Paul Rivers et Mary, la vie en couple n'est plus ce qu'elle était. Paul attend une transplantation cardiaque et doit se reposer la plupart du temps. Mais il est tout sauf raisonnable et fume dans les toilettes pour narguer sa femme. Cristina Peck, elle, tente d'oublier les problèmes. Ex-junkie, elle vit avec son mari Michael et leurs deux petites filles. Jack Jordan lui aussi est perturbé. Tout juste sorti de prison, il reste fragile et se réfugie dans une foi sans limite en Dieu pour tenir le coup. Réunis par le malheureux hasard d'un accident de voiture, ces trois personnages vont désormais partager un destin commun...

 

Film roublard, qui joue avec l'intelligence du spectateur -pour reconstituer la trame narrative du film- pour lui asséner en douce une pornographie de la douleur et un mysticisme à peine moins débile que celui de l'assassin.

Les 21 grammes du titre font référence au poids de l'âme que chacun est sensé perdre au moment de la mort. Est-il bien utile de dire ici que s'il était aussi facile de prouver l'existence de l'âme, ce serait fait depuis longtemps ? A quoi sert-il donc d'évoquer l'âme dans ce film ? Pour dire simplement que la grâce frappe là où elle veut : celle qui voulait des enfants n'en aura pas, celle qui croyait les avoir perdu en retrouvera un.

Ainsi, à l'image de son titre qui prouve à contrario que l'âme n'existe pas, le message du film s'avère peser plus vingt tonnes que vingt et un grammes. Le cinéaste, incapable d'alléger son film par des correspondances entre cette immense douleur de perdre un enfant et l'universelle imperfection de la nature humaine, se contente de retourner à chaque fois qu'il est possible le couteau dans la plaie. L'accident est d'abord montré par les yeux de la femme de l'assassin. On a ensuite droit à la séance de l'annonce des décès à l'hôpital, puis au déballage des affaires des enfants, puis à l'impossibilité de pénétrer dans les chambres, puis au rangement des affaires de sport ou de plage. Ensuite, nouveau flash-back sur l'accident, cette fois entendu par le voisin puis, clou du voyeurisme sans vergogne, à la séance du message au téléphone laissé quelques secondes avant de mourir. Le cinéaste semble oublier que faire mourir un enfant au cinéma est un geste grave ; un geste qui engage encore probablement davantage que d'exploiter le corps d'une actrice.

Aux spectateurs qui ont le courage d'affronter un tel sujet on conseillera plutôt Allemagne année zéro (Rossellini 1946), où la mort d'un enfant est l'acte scandaleux par excellence, celui qui sanctionne les pires crimes : la confusion des valeurs et l'absence de Dieu. Dans Europe 51, Rossellini montrera que pour survivre à la mort de son enfant, la mère ne trouvera d'autre solution que de s'enfermer dans un couvent. Dans L'Incompris, Luigi Comencini met en scène un père qui, trop absorbé par les jeux sociaux, ne comprend son fils qu'au moment où il meurt, victime d'un accident provoqué par son isolement. Dans le premier épisode de Short-cuts de Altman, l'enfant aurait pu ressouder les générations, sa mort conduit à la séparation. Dans De beaux lendemains, Egoyan montre qu'il peut y avoir pire sans doute que la mort des enfants, l'incompréhension et la séparation (pour l'avocat) ou l'inceste (subi par la survivante de l'accident).

Quelques cinéastes se sont éloignés du mélodrame pour montrer qu'il est possible de survivre à la mort d'un enfant. Dans Volte-face de John Woo, tout est possible : même de retrouver un fils mort, à l'identique, grâce aux criminels que l'on a combattu. Cette croyance dans la transmission se retrouve dans le film de Almodovar, Tout sur ma mère où un enfant mort est remplacé par un nouveau-né, transmis par une amie décédée.

Dans La chambre du fils enfin, Nanni Moretti met en scène la mort symbolique de l'enfant. L'accident en plein soleil relève de la métaphore et renvoie à la peur de voir ses enfants partir de la maison. Le message est alors de s'affranchir du passé et de la mauvaise conscience pour agir en suivant le fil d'Ariane des amours de ses enfants, de leur nouvelle vie sans leurs parents.

La preuve de la supériorité de ces films par rapport à celui d'Inarritu est que la mise en forme du message transcende l'impudeur du sujet choisi. On peut retourner voir ces films pour s'immerger dans l'universelle colère d'un monde où Dieu semble bien absent. Mais qui aurait envie de retourner voir un film qui n'a pour seul objet que de faire souffrir devant un acte qui, l'espère t-on, ne nous arrivera pas ?

On pourra néanmoins sauver du film un vrai talent à juxtaposer la description précise de trois milieux sociaux : celui des bourgeois chics de l'architecte et de sa femme, celui des petits bourgeois tendance intellectuelle et celui du sous prolétariat et de la petite pègre. L'histoire d'amour entre Paul et Cristina est également crédible. C'est peu pour 2h04.

Jean-Luc Lacuve le 05/05/2004