I'm not there

2007

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Avec : Christian Bale (Bob Dylan / Jack Rollins), Cate Blanchett (Bob Dylan / Jude Quinn), Marcus Carl Franklin (Bob Dylan / Woody Guthrie), Richard Gere (Bob Dylan / Billy the Kid), Heath Ledger (Bob Dylan / Robbie Clark), Ben Whishaw (Bob Dylan / Arthur Rimbaud), Charlotte Gainsbourg (Claire) David Cross (Allen Ginsberg), Bruce Greenwood (Keenan Jones / Pat Garrett), Julianne Moore (Alice / Joan Baez), Garth Gilker (Woody Guthrie), Michelle Williams (Coco). 2h15.

1959. Bob Dylan, 18 ans, incarné en un très jeune Woody Guthrie, voyage en train. Il est accueilli par une famille noire, férue de folk. La mère lui conseille d'abandonner les sujets du passé pour parler de sujets contemporains. En s'en allant, il lui laisse le dessin d'un train. Plus tard, une famille blanche qui l'a sauvé de la noyade l'accueille chez elle. Elle est affolée de le savoir sorti d'une maison de correction. En décembre 1960, Dylan Guthrie prend la route de New York pour y rencontrer son idole, mourante au Greystone Hospital, dans le New-Jersey.

Deux ans plus tard Bob Dylan s'incarne en Jack Rollins, star du folk reconnue, mal dans sa peau et maladroite sur les plateaux télé. Il joue dans son premier film. Alice/ Joan Baez se souvient de lui, ainsi que les patrons des maisons de disques

Bob Dylan qui se prend pour Arthur Rimbaud s'explique devant le juge.

En 1973, Bob Dylan est Robbie Clark en fin de tournée en Europe et sur le point de divorcer de Claire. Nixon vient de signer la paix au Vietnam. Il est loin le temps de 1964, celui de I want you, celui où il tournait son premier film et rencontrait sa femme avec laquelle il allait avoir deux enfants.

Loin est le temps où il chantait The lonesome death of Hattie Carroll , inspirée par un fait divers de la banlieue de Baltimore, un homme " de bonne société " tua une domestique, après l'avoir frappée d'un coup de canne.

1965. L'avenir est dans les instruments électriques. Bob Dylan est Jude Quinn. Alors que l'Angleterre s'apprête à l'accueillir en héros, il se montre pro américain de façon éhontée et ne répond pas aux attentes bien pensantes de Keenan Jones, le journaliste vedette de la BBC qui l'enfoncera allant jusqu'à utiliser sa judéité supposée cachée pour le déconsidèrer. Il entretient une relation compliquée avec Coco, vedette branchée. Déjà, le 13 décembre 1963, au cours d'un banquet de charité organisé par le Comité de Secours aux Libertés Civiques (Emergency Civil Liberties Commitee, ECLC), où il recevait le prix Tom Paine, qui récompense "une personnalité qui a symbolisé le juste combat pour la liberté et l'égalité ", grisé par l'alcool, il avait prononcé un discours désastreux.

De retour près de Claire, il supporte mal gloire et paparazzi. Après une autre tournée, elle demande le divorce et obtient la garde des enfants dans le procès qui les oppose.

En juillet 1966, l'épopée rock and roll de Bob Dylan s'arrête avec un accident de moto. Il revient à l'acoustique en 1968, en moins surréaliste et davantage intéressé par le passé de son pays et des histoires populaires nimbées d'un mystère irréel.. Harcelé, le chanteur se réfugie à la campagne où il est Billy the kid.


En 1979, Dylan opère un nouveau retournement de situation spectaculaire. Est-ce après avoir discuté avec Allen Ginsberg ? Du jour au lendemain, il se convertit au christianisme et se met à écrire sur sa toute nouvelle relation intime avec Dieu.

Mais Bob Dylan est toujours Billy the kid en partance dans un train, une guitare à la main.

Le principe de faire interpréter Bob Dylan par six acteurs pourrait être une idée de scénariste pour bien marquer que Dylan est un personnage mystérieux et jamais là où l'on croit. Cela produirait un film maniériste où seule la musique couperait le centre du propos.

Todd Haynes se révèle pourtant un vrai cinéaste abordant avec confiance, humour et générosité, érudition et impertinence, son personnage. Ses multiples acteurs ne sont tout simplement que les facettes multiples d'un personnage, assez semblables en cela au commun des mortels.

La jeunesse innocente gouailleuse et meurtrie s'incarne en Woody Guthrie, l'adolescence prophétique en Arthur Rimbaud, la poésie engagée, folk ou chrétienne en Jack Rollins, la vie amoureuse en Robbie Clark, le marginal irrécupérable et électrique en jude Quinn, l'éternel comédien en Billy the Kid.

Les allusions érudites à la vie de Dylan viennent comme autant de signes mystérieux décrire un personnage. Qu'importe que l'on ignore l'accident de la mystérieuse noyade à la baleine, l'accident de moto en 1966 avec sa Triumph Bonneville qui l'envoya à l'hôpital, et l'écarta des scènes pendant trois ans. Qu'importe qu'on ne sache pas qu'il interpréta Alias qui accompagne Billy le Kid dans sa cavale dans le Pat Garrett et Billy le Kid de Sam Peckinpah (1973).

C'est la vitalité de ces différents personnages, la façon de toujours pouvoir briser le récit autobiographique, toujours explicatif dans sa linéarité, pour chercher dans chaque séquence l'émotion à produire qui fait de ce film une biographie aussi peu ordinaire que, sans doute, la meilleure produite sur un musicien.

Jean-Luc Lacuve le 19/12/2008