Le ruban blanc

2009

Genre : Drame social

Cannes 2009 :  palme d'or (weiße Band-Eine deutsche Kindergeschichte). Avec : Christian Friedel (l'instituteur), Leonie Benesch (Eva), Ulrich Tukur (Armin, le baron), Ursina Lardi (Marie-Louise, la baronne), Burghart Klaußner (le pasteur), Steffi Kühnert (Anna, sa femme), Leonard Proxauf (Martin, leur fils), Maria-Victoria Dragus (Klara, leur fille), Thibault Sérié ( Gustav, leur plus jeune fils), Rainer Bock (Le médecin), Roxane Duran (Anna "Anni", sa fille), Miljan Châtelain (Rudolf "Rudi", son fils), Susanne Lothar (Mme Wagner, La sage-femme), Eddy Grahl (Karli, son fils), Josef Bierbichler (le régisseur), Enno Trebs (Georg, son fils aîné), Janina Fautz (Erna, sa fille aînée), Klaus Manchen (M. Felder), Birgit Minichmayr (Frieda, sa fille aînée), Sebastian Hülk (Max, son fils aîné), Michael Kranz (Hubert, le précepteur), Ernst Jacobi (le narrateur, l'institeur âgé). 2h24.

Un narrateur maintenant âgé propose de nous raconter une histoire qui s'est passé dans un village de l'Autriche protestante en 1913. Il n'est pas certain de tout connaître mais pense que cela pourra éclairer les mécanismes à l'œuvre dans son pays. Tout commença par une série d'accidents étranges et inexpliqués.

En rentrant de sa leçon d'équitaion chez le baron, le docteur est victime d'un grave accident. Un câble transparent a été tendu pour faire chuter son cheval. Anna, sa fille, est là. La clavicule à vif, le médecin est transporté à l'hôpital. La sage-femme, Mme Wagner, qui l'aide depuis la mort de sa femme en couches, après s'être occupée de ses enfants va chercher son jeune fils à l'école, Karli, trisomique. Quelques enfants, Karla, Martin et les enfants du régisseur du diomaine, habituellement séparés, s'éloignent ensemble de l'école. Anna, réconforte Rudi, son jeune frère, cinq ans, qui craint que son père ne revienne pas.

Marie-Louise, la femme du baron joue du piano, mal accompagnée à la flûte par Hubert, le répétiteur de son fils. Elle rabroue aussi son fils, Sigi, qui s'ennuie.

Le soir, le pasteur punit Martin et Klara, ses enfants les plus grands, d'être rentrés trop tard et d'avoir ainsi inquiété leur mère sans fournir d'excuse valable. Ils seront punis le lendemain de dix coups de fouets et à l'humiliation de porter le ruban blanc comme du temps de leur prime jeunesse pour leur rappeler qu'ils doivent atteindre à cette pureté.

Le lendemain, on apprend la mort de la femme d'un paysan, Mme Felder, envoyée par le régisseur dans une scierie en si mauvais état que la pauvre femme s'est tuée en tombant au travers du plancher. Le régisseur a un nouveau fils, ce qui semble ne pas plaire à Georg, l'aîné de la famille. Karli Felder regarde visage de sa mère, morte dans son cercueil.

Le narrateur, qui se révèle être l'instituteur, prend en charge la part du récit dont il fut l'acteur. Ce jour là, alors qu'il pêchait, il aperçut Martin, le fils du pasteur en équilibre précaire sur la bordure du pont. Martin lui avoua que c'était pour laisser une chance à Dieu de le tuer si ses actes lui avaient déplus. Dieu ne fit pas.

En rentrant de la pêche, l'instituteur croise Eva, 17 ans, la nurse de la baronne en charge des deux jumeaux de celle-ci. En congé, elle se rend en bicyclette dans son village natal, Treglitz, proche de celui de l'instituteur, Vasendorf. Celui-ci, ému par la jeune fille, trouve un moyen un peu burlesque de la retenir : lui faire porter un des poissons qu'il vient de pêcher à son père. Ils y renoncent n'ayant pas les moyens de l'emballer.

Rudi, cinq ans, et Anni, les enfants du docteur, parlent de la mort. Elle lui enseigne ce que c'est. Il comprend que sa mère est morte. Elle lui avoue.

Le soir, comme promis, le pasteur punit ses enfants et leur fait porter le ruban blanc préparé par la mère.

Deux mois plus tard. C'est la fête des moissons. L'instituteur et Eva dansent ensemble. Max Felder, ne supporte pas l'allégresse généralisée et tient le baron pour responsable de la mort de sa mère. Il détruit le champ de choux du baron à coups de faux. Fils du pasteur emmène à son père un oiseau blessé, promets de le libérer une fois guéri. Max avoue à son père être l'auteur du saccage du champ de choux. Le père craint pour l'emploi de Frieda, la fille ainée, serveuse chez le baron et se met en colère car il sait dépendre de lui. Le soir, Hubert, le précepteur, annonce au baron que, Sigi, son fils a disparu depuis l'après midi échappant à sa surveillance ainsi qu'à celle de la baronne, traumatisée par l'affaire du champ de choux. On finit par retrouver Sigi dans une grange à 2h30 du matin, pantalon baissé et fouetté sauvagement.

Le dimanche, le baron intervient dans l'église après le prêtre et veut un coupable. Il veut la paix au village, déclaration qui inquiète les paysans

Eva et le précepteur seront les premiers punis de cet acte odieux que le baron à dénoncé en chaire. Ils sont renvoyés. Eva trouve refuge dans l'école de l'instituteur qui tombe définitivement amoureux d'elle. Au matin, il la raccompagne chez elle en carriole à cheval pour expliquer son innocence à ses parents.

Max revient de prison où il était incarcéré pour avoir saccagé les choux. Son père lui apprend que Frieda a été renvoyée Le médecin rentre de l'hôpital. Quelques jours plus tôt, Rudi était venu à sa rencontre mais refuse maintenant de le voir.

Le pasteur punit son fils, Martin car il pense qu'il se masturbe.

La sage-femme est la maîtresse du docteur et lui dit à quel point il lui a manqué. Sentiment qui n'est pas partagé.

C'est Noel. Le baron n'assiste pas à l'office. Le bébé du régisseur a été exposé deux heures à une fenêtre ouverte.

Le lendemain de Noël, l'instituteur s'en va à pied jusqu'à Treglitz demander la main d'Eva à son père. Celui-ci exige qu'ils attendent un an avant de se marier.

La grange du domaine est incendiée. Le lendemain matin, l'un des fils Felder découvre que son père s'est pendu.Le médecin insulte odieusement la sage-femme dont il ne supporte plus les caresses. Celle-ci l'accuse de l'avoir aussi mal aimée qu'il aima mal sa femme et d'être trop sensible à la beauté de sa fille, Anna. Max est revenu pour l'enterrement de son père.

C'est la saint sylvestre. C'est la dernière en temps de paix. Le pasteur a de nouveau confiance dans ses enfants.

A pâques, L'instituteur est déçu de voir revenir la baronne avec une nouvelle nurse qui a définitivement remplacé Eva.

Séance de catéchisme pour les grands pour la confirmation. Le pasteur se désespère du chahut provoqué, le croit-il, par Klara avec Martin, les deux fils du régisseur, Georg et Ferdinand et Anna. Accusée par son père, Klara s'évanouit.

Rudi, réveillé dans la nuit, erre à la recherche d'Anni. Il la voit avec son père qui l'oblige à des relations sexuelles. Klara entre dans le bureau de son père et tue son oiseau, Pipsi, en l'égorgeant avec des ciseaux

L'instituteur venu chercher une carriole chez le régisseur pour revoir Eva, reçoit d'Erna, la fille du régisseur l'étrange confidence d'un rêve prémonitoire où elle voit Karli, le fils trisomique de la sage-femme, battu à mort. Elle est d'autant plus inquiète qu'elle avait vu en rêve son frère laisser ouverte la fenêtre de la chambre du bébé comme s'il avait voulu le tuer.

L'instituteur s'en va revoir Eva, toujours aimante et toujours pure. Je jour de la Pentecôte est jour de la confirmation. Lors de la communion, le pasteur comprend que Karla a tué Pepsi mais lui donne le calice pour éviter le scandale.

Mais lorsque l'on retrouve Karli battu à mort et presque aveugle, l'instituteur fait convoquer Erna par la police désormais en charge des crimes odieux perpétués dans le village.

Sigi, le fils du baron, est poussé dans l'eau par le fils du régisseur qui convoite son sifflet. Le fils remet son oiseau pour remplacer Pipsi. Le régisseur bat son fils afin qu'il rende le sifflet de Sigi. Georg le nargue; le régisseur le bat plus fort. La baronne annonce à son mari qu'elle le quitte. Elle veut revenir en Italie auprès d'un homme qui lui a fait la cour et refuse de retser plus longtemps dans ce village où règnent malveillance, brutalité, envie, perversion.

L' Archiduc a été tué à Sarajevo. Ce sera la guerre. Alors qu'il s'apprête à aller voir Eva, l'instituteur se voit prier par la sage-femme de lui remettre sa bicyclette afin de courir à la police dénoncer l'auteur des crimes du village dont le nom lui a été révélé par son fils, Karli. Inquiet de l'avoir laissé ainsi partir, l'instituteur se précipite chez elle pour découvrir les enfants du village essayant vainement d'entrer chez la sage-femme qui a barricadé sa maison. Il découvre aussi que le médecin et ses enfants sont partis sans un mot. Il revient chez le pasteur interroger Klara et Martin qu'il pense être les instigateurs, avec les autres enfants du village, de tous les crimes commis. Il fait par de ses soupçons à leur père. Le pasteur interdit à l'instituteur de les redire à qui que ce soit sous peine de le dénoncer pour perversion aux autorités politiques et religieuses.

Le 28 juillet, l'Autriche déclare la guerre à La Serbie; le 1er aout celare la gurre à la Russie pui le lundi suivant à la France. Le dimanche qui suivit un office solannel rassembal la totalité du village, plsu els parents d'Eva. L'instituteur termine son récit; il fut appalé lors dela trosieme année d ela guerre. Il aura compris de quoi il en retourne mais la déclaration de guerre et sa mobilisation puis son établissement comme tailleur dans la ville de son père l'éloigneront d'une élucidation complète de l'histoire. Personne ne saura ce que sont devenus Rudi, Anni, leur père médecin incestueux ainsi que la sage-femme et son fils. Ceux-ci ayant fuits, ils passent comme les coupables faciles de toute cette histoire auprès des villageois. L'instituteur ne revit plus personne du village.

Le narrateur a trente et un ans lors des accidents inexpliqués qui se produisent en 1913 mais il est bien plus âgé lorsqu'il commence son récit. Celui-ci ne peut se situer en 2009 (l'instituteur aurait près de 130 ans). Il n'est pas interdit de supposer qu'il se situe environ 25 ans plus tard, vers 1938 en pleine ascension nationale socialiste et à la veille de la seconde guerre mondiale. La similitude des évènements dramatiques pourrait alors susciter chez l'instituteur l'envie "d'éclairer les mécanismes à l'œuvre dans son pays". Le pressentiment de la catastrophe à venir susciterait ces plans magnifiques de nature blanche et immaculée qui va subir la loi de la guerre.

Les mécanismes à l'oeuvre sont plus ressentis qu'explicités. Il s'agit davantage d'exprimer la répétition à vingt cinq ans de distance d'un sentiment de violence inquiète, sado-masochiste, qui se libère dans des actes de violence folle que d'analyser la montée au pouvoir des nazis par la seule éducation trop rigoriste des pères de la génération précédente.

Le ruban blanc travaille le thème majeur de Haneke, les pulsions sadiques à l'œuvre sous l'innocence la plus banale ou la plus souriante. Paradoxalement, son ancrage historique, qui pourrait s'avérer pesant et simpliste, lui évite d'insister sur les explications pour offrir une oeuvre plus universelle où les enfants ont à souffrir de l'aveuglement des adultes tout autant que les femmes souffrent de loi des hommes et les pauvres subissent la loi des riches.

 

De faux mystères pour contrer les vices privés

Les adultes sont tous ici des menteurs camouflant sous le verni de la loi leur désir de puissance. Le moins coupable est probablement le pasteur, certes sévère jusqu'à la déraison, injuste avec sa fille, Karla, qu'il croit à la tête d'un chahut qu'elle a tenté de calmer, obnubilé par les fautes vénielles de Martin et incapable de sentir les plus lourdes. Le médecin, présenté comme la première victime sera lui le plus coupable. Odieux envers sa maîtresse, il viole sa fille. Il y a fort à parier que c'est Anna qui avait organisé avec ses condisciples la chute de cheval de son père pour tenter de prévenir cet acte qu'elle pressentait. Le régisseur est inféodé au baron et maintient ses enfants sous sa poigne de fer, notamment Goerg et Erna.

Au sein de cette petite troupe d'enfants menée par Karla, Martin, Anna, Georg et Erna, qui décide des punitions donner, la déraison va gagner. Après avoir châtié le médecin, ils constateront l'impuissance des adultes à voir leurs fautes et l'hypocrisie de leur attitude. Leur soumission apparente dissimule une fourberie diabolique. Si Martin pleure devant son père ce n'est certes pas parce qu'il a honte que celui-ci ait découvert ses envies de se masturber mais plus sûrement qu'il ne va pas empêcher les nouveaux crimes qu'il se prépare à faire. Et ceux-ci seront de plus en plus odieux. Après avoir corrigé Sigi, le fils du baron, le fils du régisseur, Georg, tentera de tuer son frère nouveau-né puis s'en prendra à Karli avec ses condisciples. On peut penser que, outre le plaisir diabolique de corriger un innocent, frapper Karli est une façon de punir la sage-femme que les enfants du médecin détestent.

 

Dieu n'existe pas…

La confusion métaphysique dans laquelle sont pris les personnages est proche du monde décrit par Bergman dans Les communiants. On y retrouve la même exacerbation nerveuse devant le possible silence de Dieu. Martin recourt au jugement de Dieu en risquant sa vie sur un pont et Klara crucifie l'oiseau de son père avec une paire de ciseaux. Le pasteur devra aussi renoncer à ses principes. Il n'aurait pas dû confirmer sa fille qu'il sait l'auteur de cette crucifixion de l'oiseau et, plus grave sans doute, qu'il sait au courant de ce savoir. La forcer à boire le calice de la communion signifie que le pacte de respect mutuel est rompu au profit des apparences. Ce que confirmera ensuite son refus d'écouter les explications de l'instituteur.

Si Haneke s'inscrit pour une part dans la filiation bergmanienne il reconnaît aussi l'influence de Visconti. La baronne s'exile en Italie et y reviendra définitivement. L'habit de marin et la coiffure de Sigi viennent directement du Tadzio de Mort à Venise et peuvent laisser penser à des pulsions homosexuelles refoulées chez le fils du régisseur. L'assassinat du nouveau-né conçu sans état d'âme en laissant une fenêtre ouverte vient probablement de L'innocent. L'influence de Visconti est aussi à chercher dans l'ancrage social du film, dans cette société encore féodale du début du siècle. Aux actes sadiques des enfants se rajoutent en effet, la mort de Mme Felder, passée par pertes et profits par le baron qui ne s'en croit aucunement responsable et la vengeance dérisoire du fils sur les choux. Autant d'actes qui troublent les villageois, finalement à aussi juste raison, que la violence dont ils ne sauront jamais qu'elle doit être attribuée aux enfants.

 

... et le spectateur ne le sait pas

Si la confusion des valeurs règne dans l'esprit des personnages et au sein de la société, Haneke prend aussi le soin de camoufler la violence diabolique des enfants dans un récit pris en charge par l'instituteur. Celui-ci a vite fait d'abandonner le rôle de détective qu'il se donne au début du récit pour raconter sa propre histoire. Ce n'est qu'assez tardivement qu'il élucide la genèse des actes commis par ses élèves et qu'il se souvient, par exemple, de leur façon de faire bloc à la sortie de l'école une fois annoncée la chute du médecin.

L'instituteur, trente et un ans, est amoureux de la jeune Eva dix-sept ans et n'a pas encore basculé du côté des adultes. Au final, l'instituteur aura compris de quoi il en retourne mais la déclaration de guerre et sa mobilisation puis son établissement comme tailleur dans la ville de son père l'éloigneront d'une élucidation complète de l'histoire. Nous ne serons ainsi pas ce que sont devenus Anna et Rudi, leur père, médecin incestueux, ainsi que la sage-femme et son fils.

L'innocence disparaît rapidement de ce monde. Seuls les plus jeunes semblent encore en bénéficier. Ainsi de Gustav, le plus jeune fils du pasteur amenant son oiseau pour remplacer celui de son père. Ainsi du plus jeune fils Felder tremblant de soulever le voile de sa mère morte pour la voir une dernière fois. Ainsi de Rudi qui ignore encore ce que la mort veut dire mais auquel Anna va apporter doucement cette révélation. C'est un peu ce que Haneke propose au spectateur : lui montrer comment la violence et le mal s'insinuent en nous dès que les barrières d'une innocence dérisoire (le ruban blanc) sont rompues.

Jean-Luc Lacuve le 25/10/2009