Le dernier mot

1988

Clip de 27 mn pour le dixième anniversaire du Figaro Littéraire.

Un visiteur se souvient d'une voix et d'images. Un violoniste lui répond par La partita en ré de Bach. Le visiteur se souvient : ici en Haute-Savoie, à la fin de 1945, un prisonnier est fusillé par trois officiers allemands dont une femme. Le prisonnier marche dans les sous-bois jusqu'au petit mur de l'usine abandonnée.

L'officier allemand cite des auteurs français : Nerval, Hugo, Musset, Turenne (à lui-même : tu tremblerais davantage si tu savais où je t'emmène), les ponctuant de "ma poule". On n'entend pas les questions mais le violoniste répond et le visiteur comprend que l'officier est son père et que le violoniste est le fils du prisonnier français.

L'officier lui propose une dernière bouffée de cigarette, et demande s'il a encore quelque chose à dire. II ricane : les Français veulent toujours avoir le dernier mot.
Le prisonnier réfléchit pendant que les autres qui lui font face préparent leurs armes. II revoit comme en rêve des visages et des paroles, les uns et les unes célèbres, les autres humbles comme lui (et ta victoire — ce sera ma délivrance ; tu trembles carcasse). On va l'exécuter. II sourit et crie : "Imbéciles c'est pour vous que je meurs" (paroles dites par Valentin Feldman, fusillé à 33 ans).

Cette année-là le Figaro Magazine fête ses dix ans et confie pour l’occasion à cinq cinéastes (Jean-Luc Godard, Luigi Comencini, Andrzej Wajda, David Lynch, Werner Herzog) le soin de dresser un portrait des français. Comme toujours dans ces cas-là, Godard pervertit le projet, décide de tourner son court-métrage en Haute-Savoie et choisit la maison de ses grands-parents, à l’aspect dévasté, comme décor.

A l’origine le scénario aurait dû illustrer le gout immodéré des francais célèbres à avoir le dernier mot face à la mort :
« Dormir !… Enfin, je vais dormir » De Musset.
« Tu trembles, carcasse, mais tu tremblerais bien davantage si tu savais ou je vais te mener. » Turenne.
« Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut bien la peine » Danton.
« La garde meurt, mais ne se rend pas ! » Cambronne

Mais au fil du temps, le projet satyrique cède la place à toute autre chose. Valentin Feldman (1909-1942), fut un jeune philosophe communiste auteur en 1936 d’un essai, L’Esthétique française contemporaine, et fut aussi professeur de philosophie. Engagé volontaire en 1939 malgré une grave maladie de cœur, cité en 1940 pour sa conduite au feu, il s’était engagé dans la résistance dès l’été 1940. Arrêté au début de 1942, il fut condamné à mort, refusa de solliciter sa grâce et fut exécuté au Mont-Valérien en juillet 1942.

Pour filmer ce passé, Godard a besoin d’un présent où résonne ce souvenir porté par le bruissement des feuilles dans les arbres, le souffle du vent, les pas qui recherchent des sentiers, de la présence d’eau… Ainsi, quarante ans plus tard, le fils de l’officier allemand s’avance vers la maison d’où sort un homme qui tient un violon… Une dizaine de minutes s’écoulent, le passé et le présent ne font plus qu’un, la voix off peut s’effacer, « des accents plus doux de Jean-Sébastien Bach » peuvent reprendre le dessus et la réinvention des « Outrages du Christ » De Fra Angelico disparait au profit de « En souvenir de Valentin Feldman » (Voir : Synopsis Dans JLG par JLG tome 2).

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