Maigret tend un piège

1958

D'après le roman de Georges Simenon. Avec : Jean Gabin (Jules Maigret), Annie Girardot (Yvonne Maurin), Olivier Hussenot (Lagrume), Jeanne Boitel (Madame Maigret), Lucienne Bogaert (Mme. Maurin), Jean Debucourt (Guimart). 1h56.

La terreur règne dans le quartier de la place des Vosges, à Paris : un tueur, la nuit, assassine les femmes seules. Le commissaire Maigret soupçonne le criminel de chercher à le provoquer. Il fait arrêter un faux coupable consentant, de manière à obliger le vrai meurtrier à agir une fois encore lors de la reconstitution du dernier crime. Le tueur attaque une auxiliaire de la police, mais parvient de nouveau à fuir en montrant une parfaite connaissance du quartier...

Pendant ce temps, l'inspecteur Lagrume a pris en filature une jeune femme, Yvonne Maurin, dont l'attitude lui avait parue suspecte. Maigret lui rend visite chez elle à Auteuil et fait la connaissance de son mari, Marcel, architecte-décorateur. En fait, Marcel a passé sa jeunesse place des Vosges et sa mère habite précisément le pâté de maisons où disparut mystérieusement l'assassin lors de sa dernière tentative...

Bientôt, Maigret est sûr de tenir le coupable et arrête Marcel Maurin. Mais un nouveau crime est commis alors que le suspect est gardé au quai des Orfèvres. Confrontant la mère et l’épouse de Maurin, ce qui exacerbe leur rivalité haineuse, Maigret obtient les aveux d’Yvonne : c'est elle qui a commis ce meurtre gratuit pour tenter d'innocenter son mari démasqué.

Il ne reste presque plus rien du roman de Simenon dans cette adaptation très libre, si ce n'est le piège qui permet d'arracher un bouton et le coupable (Maurin et non plus Moncin) qui, pris entre une mère et une femme trop protectrices, satisfait son orgueil en assassinant.

L'action est déplacée de Montmartre, trop typique et difficile à reconstruire en studio à un quartier de la place des Vosges censée être un labyrinthe de petites rues. L'huis-clos dans les bureaux de Maigret qui constitue l'essentiel du roman est transformé en une longue intrigue policière ou le personnage inventé pour l'occasion de l'inspecteur Lagrume suit par hasard, alors qu'il est censé suivre un suspect, et donc un homme Mme Maurin sans aucune raison valable. Pire, suite à son rapport téléphonique sans intérêt normalement pour Maigret, c'est parce qu'il prononce son nom, Maurin, en présence du boucher endormi que celui-ci fait le lien avec sa propriétaire,  Maurin mère. Cette double invraisemblance prend la place de la piste du bouton qui ne donne rien.  On aura aussi à la place droit à une invraisemblable histoire de costume volé qui s'avérera être celui du père donné le soir de l'agression manquée par la mère pour "couvrir" son fils.

L'intrigue policière permet la confrontation Gabin-Girardot. Celle-ci vient notamment le trouver chez lui, en pyjama, pour une scène de psychologie douteuse qui s'avérera inventée : elle aurait trompé son mari par vengeance. Outre l'inspecteur Lagrume, tous les personnages secondaires voient leur rôle excéder celui du roman : ce n'est pas un psychiatre qui donne à Maigret l'idée de tendre un piège mais sa femme auquel le film donne le beau rôle (mais effacé tout de même); ce n'est pas un ami de Maigret mais un malfrat extraverti qui sert à piéger les journalistes, le gigolo est inventé. Comme dans le roman, Maigret part en vacances à la fin de son enquête mais le plan final, la pluie qui semble le laver de la crasse des crimes urbains est inventé.

On a ainsi une intrigue psychologique assez poisseuse en lieu et place des doutes et interrogations de Maigret devant la complexité des motivations humaines qui fait la part belle aux dialogues de Michel Audiard :

Maigret : "Allez on monte !" (chez le couple Maurin)
Lagrume : "Mais il n'est pas six heures, monsieur le divisionnaire"
- C'est la meilleure heure pour aller à la pèche.
- Mais on n'a pas de mandat. Vous connaissez la loi ?
- Moi oui, mais ce n'est pas chez moi qu'on monte.

Jean-Luc Lacuve le 30/08/2015.