Ne change rien

2009

Cannes 2009 :  Quinzaine des réalisateurs Avec : Jeanne Balibar, Rodolphe Burger, Hervé Loos, Arnaud Dieterlen, Joël Theux (eux-mêmes). 1h38.

Une scène de salle de spectacle. Jeanne Balibar chante en anglais.

A Niort, Jeanne, dans la maison de Rodolphe Burger qui lui sert de studio répète Torture "Je me mutile, pour attirer ton attention... peine perdue". Elle s'inquiète de savoir où poser les silences et du rythme à choisir avec son guitariste. L'ingénieur du son et le bassiste donnent quelques conseils.

Un piano dans un coin de scène d'Aix en Provence pendant que les acteurs chantent La Périchole d'Offenbach.

Jeanne en concert chante Ne change rien.

Jeanne chante et bat la mesure de Torture sur les indications de Rodolphe Burger. L'imprégnation est lente et difficile.

Jeanne répète avec sa professeur de chant La Périchole.

Deux femmes au Japon écoutent la radio. Jeanne chante Johnny Guitar.

A Niort, chez Rodolphe Berger, ils répètent Torture puis Ton diable.

Avant un concert, répétition de Rose is a rose.

La Périchole sur une scène d'Aix en Provence avec l'air fameux des maris Ré-Cal-ci-trans.

A Niort, chez Rodolphe Berger, Ton diable fait l'objet de plusieurs prises, d'abord la voix de Jeanne Balibar puis la musique de Rodolphe Berger. Les chanteurs qui s'apprêtent à partir manger l'écoutent, contents.

Après avoir rencontré Jeanne Balibar alors qu'ils étaient dans le jury d'un festival de cinéma, après les demandes pressantes de son ingénieur du son, Philippe Morel, pour faire un film avec la chanteuse dont il est admirateur éperdu, Pedro Costa autoproduit avec ce dernier, Ne change rien, à coup d'échanges de billets d'avion contre le prix de nuits de chambre d'hôtels.

De cette économie minimum, le film tire sa splendeur. Le noir et blanc s'imposa pour atténuer les kitsch variés des salles de concert dont la lumière ne fut jamais gérée par Pedro Costa, ou Nobuhiro Suwa qui vint l'aider au Japon. Mais le noir et blanc s'impose aussi par sa beauté pour les scènes de répétition.

Fait de rencontres de hasard en France ou au Japon, de chansons filmées dans de petites salles de concert, de répétition chez Rodolphe Burger, ce film, constitué de longs plans fixes, produit un résultat précieux, fragile, irritant, obsédant.

On dit "amuse-toi" au cinéma, lorsque l'interprète se cherche. Et ici ce sont bien des artistes enflammés, investis dans l'exigence d'une technicité maximum garant d'une transmission directe simple et limpide (cours de chant lyrique, répétition des quatre temps de la mesure) qui se cherchent. Et Pedro Costa se met au diapason de cette attention artistique. Absent du champ, discret sans doute lors des répétitions, il manifeste sa présence par des dispositifs lumineux, simplement baroques avec plusieurs sources de lumière générant des clairs-obscurs

Dans One+One, Godard filmait les rapports de force entre les Rolling Stones comme un écho des conflits de l'époque. Dans Shine a light, Martin Scorsese filmait la musique des Stones, quarante ans plus tard, avec ses dispositifs de caméra compliqués. Pedro Costa filme des artistes qui jouent ensemble.

A l'envie d'accompagner une époque ou d'accompagner la musique, Pedro Costa accompagne les musiciens en jouant du contraste entre la lumière d'une lampe et d'une cheminé, d'un petit écran de projection de cinéma ou d'angles de prises de vue, toujours légèrement désaxés, qui manifeste son regard.

Jean-Luc Lacuve le 27/01/2010