La belle saison

2015

Thème : Mai 68

Avec : Cécile de France (Carole), Izïa Higelin (Delphine), Noémie Lvovsky (Monique), Kévin Azaïs (Antoine), Laetitia Dosch (Adeline), Benjamin Bellecour (Manuel), Sarah Suco (Fabienne), Nathalie Beder (Marie-Laure). 1h41.

1971. Delphine travaille dans la ferme de ses parents dans la Creuse. Son père et fier d'elle mais s'inquiète qu'elle rejette, un à un ceux qui veulent l'épouser. Mais lorsque Delphine s'en va dans la nuit s'est pour rejoindre celle qu'elle aime. Un soir pourtant celle-ci lui annonce qu'elle va se marier et partir vivre à Limoges.

Delphine monte à Paris pour s’émanciper du carcan familial et gagne son indépendance financière en travaillant chez Félix Potin. Dans la rue, elle vient au secours de Carole, une militante du MLF qui est prises à partie par un mâle parisien qui a peu apprécié leur action : claquer sur les fesses des hommes comme ils ont l'habitude de claquer impunément celles des femmes.  Carole, en couple avec Manuel,  vit activement les débuts du féminisme. Lorsque Delphine et Carole se rencontrent, leur histoire d'amour fait basculer leurs vies. Le père de Delphine fait une rupture d'anévrisme ce qui l'oblige à rentrer chez elle pour aider sa mère aux travaux des champs. Carole vient la rejoindre pour un week-end puis pour une semaine. Leurs amours sont vite soupçonnées au détour d'un regard par la mère, le fiancé et un pécheur à la ligne. Le drame éclate lorsque la mère les retrouve toutes deux au lit et chasse Carole. Delphine la suit alors. Mai sur le quai de la gare de Limoges, où doit passe la correspondance pour Paris, Delphine renonce à partir.

1976. Carole travaille au planning familial et vit en couple avec une femme. Émue elle reçoit une lettre de Delphine. Celle-ci regrette de n'avoir pas eu le courage de partir avec elle cinq ans plus tôt. Mais elle va de l'avant : elle est  partie s'installer dans le sud, vivre dans une ferme à elle et comme elle l'entend.

Le film enchaine sans lourdeur les scènes un peu convenues d'une reconstitution appliquée des mouvements d'émancipation féminine puis des amours espiègles et joyeusement sensuels de deux femmes. Si l'engagement et l'amour sont sincères, le titre avait prévenu : L'amour ne durera qu'une saison.

Aucune des deux femmes ne prend jamais vraiment le risque de tout abandonner pour l'autre. Catherine Corsini montre en effet bien que les personnages n'échappent pas à leurs déterminants sociaux : l'importance de la ville pour Carole (l'urbaine tenant aux sons et odeurs des voitures de son café noir autour d'un comptoir réconciliant les classes sociales), de la responsabilité agricole et familiale pour Delphine. C'est l'élégance du film de se maintenir dans la description de sentiments qui sont certes forts mais sont moins lumineux et dévastateurs que ceux des amours des deux adolescentes de La vie d'Adèle ou moins lestés des poids sociaux que ceux qui pèsent sur la  Bande de filles.

Le schématisme concernant le conservatisme buté des paysans fait contrepoids à la reconstitution tout aussi sursignifiante des icones du féminisme : L'hymne du  MLF  (Nous, qui sommes sans passé les femmes, nous qui n'avons pas d'histoire, depuis la nuit des temps, les femmes, nous sommes le continent noir...), sigle du MLF (Un poing fermé dans un cercle qui se prolonge par une croix), Le manifeste des 343 Salopes. Ces icones salvatrices font contrepoids au discours aux mères du président Pompidou ou au discours pro-life du professeur Chambard (! interprété par le toujours excellent Bruno Podalydes). La reconstitution édulcorée des amphis où l'on fume si peu qu'il n'y a pas de fumé est relayée par les beaux paysages de la Creuse.

Emblématique d'une belle saison destinée à finir, le contraste entre le soin pris pour la scène de rupture sur la gare, enfin bien mise en scène avec ce couloir de sous-terrain désespérément vide, et la banalité de celle pour la rencontre amoureuse : Delphine rejoint Carole qui l'attend de l'autre coté de la rue.

Jean-Luc Lacuve le 16/09/2015