Bright star

2009

Genre : Mélodrame

Cannes 2009 :  compétition officielle Avec : Abbie Cornish (Fanny Brawne), Ben Whishaw (John Keats), Paul Schneider (Charles Brown), Kerry Fox (Mme Brawne), Edie Martin (Toots Brawne), Thomas Sangster (Samuel Brawne), Claudie Blakley (Maria Dilke), Gerard Monaco (Charles Dilke), Antonia Campbell-Hughes (Abigail O'Donaghue), Samuel Roukin (John Reynolds). 1h59.

Hampstead, faubourg de Londres encore entouré de champs et de bois en 1818. Fanny Brawne, sa mère, son jeune frère Samuel et sa petite soeur Toots louent une belle maison de campagne qu'ils partagent avec deux autres colocataires, Charles Armitage Brown, poète écossais relativement fortuné et un autre jeune poète anglais de 23 ans, John Keats.

Fanny Brawne, jeune femme mondaine, passionnée par la création de vêtements de haute couture qu'elle dessine et confectionne elle-même, n'entend rien à la poésie. Elégante et effrontée, elle est agressive vis à vis de Charles Brown, qui essaie grossièrement de la séduire tout en méprisant ses occupations futiles. Fanny est pourtant impatiente de connaître John Keats, frêle poète romantique désespérée par la maladie de son jeune frère atteint de la tuberculose.

Keats est touché par les efforts que déploie Fanny pour les aider, et il accepte de lui enseigner la poésie. Charles Brown est très hostile à cette liaison qui lui retire l'amitié exclusive qu'il entretient avec Keats dont il admire sincèrement le talent, bien plus brillant que le sien.

L'attachement entre les deux jeunes gens grandit, renforcé encore par la séparation que Brown leur impose en emmenant Keats en voyage avec lui. Celui-ci envoie des lettres enflammées à Fanny qui lui répond sur le même ton, entraînant son frère et sa soeur dans la splendide campagne anglaise à la recherche de papillons dont la vie, aussi belle que fragile, symbolise l'amour des deux jeunes gens.

Pour John, Fanny renonce à la brillante vie mondaine qui lui tend les bras. Une sortie imprudente à Londres sous la pluie déclanche la tuberculose de Keats. Brown abandonne son ami, contraint qu'il est d'épouser la bonne qu'il a mis enceinte. Keats et Fanny se fiancent à Noël 1819. Leur mariage ne sera jamais célébré. Keats meurt à Rome, où il était venu chercher un peu de soleil.

Belle mais très académique mise en image d'une passion amoureuse contrariée. Jane Campion illustre avec splendeur les images de Keats. Par exemple avec la scène des papillons qui fait écho à la phrase du poète: "Je rêve que nous sommes des papillons n'ayant à vivre que trois étés" ou en faisant lire la lettre d'amour au milieu d'un splendide champ de fleurs bleues.

Poésie et cinéma

La poésie de Keats est présentée immédiatement comme digne d'intérêt. Toots lie un passage d'Endymion qui éveille suffisamment la curiosité de Fanny pour qu'elle lui reprenne le livre des mains et lise pour elle-même les vers "Tout objet de beauté est une joie qui demeure :/Son charme croît sans cesse, et jamais/Ne sombrera dans le néant." Elle-même, étant éprise de bel ouvrage de couture, c'est le "message" du poème qui fait sens.

Assez académique aussi la composition de Bright star, collée à la situation :

Brillante étoile ! Que ne suis-je comme toi immuable,
Non seul dans la splendeur tout en haut de la nuit,
Observant, paupières éternelles ouvertes,
De la nature patient ermite sans sommeil,
Les eaux mouvantes dans leur tâche rituelle
Purifier les rivages de l’homme sur la terre,
Ou fixant le nouveau léger masque jeté
De la neige sur les montagnes et les landes –
Non – mais toujours immuable, toujours inchangé,
Reposant sur le beau sein mûri de mon amour,
Sentir toujours son lent soulèvement,
Toujours en éveil dans un trouble exquis,
Encore son souffle entendre, tendrement repris,
Et vivre ainsi toujours – ou défaillir dans la mort.

Les cinq derniers vers collent littéralement avec l'image comme si c'était la situation qui créait la poésie. Celle-ci pourrait alors êtes écrite par tout à chacun vivant la même situation.

De la discussion entre les deux amoureux vient pourtant une précision émouvante parce qu'inattendue. Pourquoi Keats écrit-il "Non seul" au début du second vers et pas "seul" comme le sens commun l'attendrait ? Fanny le sait, c'est une allusion de Keats au fait qu'elle doit aller au bal et y rencontrer d'autres gens. Elle propose à Keats de ne pas y aller. Celui-ci, quoi qu'il en soit, gardera le très beau "Non seul".

C'est cette liberté du vers et de la rythmique qu'appréciera aussi le frère Reynolds dans le salon littéraire que tiennent ses soeurs.

Glaçage lumineux sur passion romantique

La poésie de Keats n'est cependant pas le centre du film de Jane Campion. En faisant de Fanny son personnage principal, elle reprend sa thématique des héroïnes passionnées qui mettent leur passion ou leur désir au-dessus de la raison et des convenances que ce soit Ada dans La leçon de piano, Janet Frame dans Un ange à ma table, Dawn dans Sweetie ou encore Isabel Archer dans Portrait de femme.

La situation décrite est romantique, par le sujet, une passion contrarié ; par les décors qui opposent les fleurs de la campagne à la crasse de la ville ; par les situations contrastées des personnages : l'innocence de Toots et Samuel, les affres de la passion de Fanny, l'attention chaleureuse de la mère, l'hostilité de Brown. La mise en scène de Jane Campion s'attache à décrire ces contrastes entre la bourgeoise épicurienne et la misère populaire, entre la difficulté d'écrire et les occupations futiles de la bourgeoisie.

Jane Campion, comme le note Nicolas Azalbert dans Les Cahiers du cinéma déploie un sens remarquable de la lumière. Elle cherche pour cette chaste passion des modèles plus éloignés encore dans le temps et recourt aux peintres du XVIIeme. Les jours heureux sont sous l'influence de Vermeer depuis Fanny dans la position de La dentellière jusqu'aux lectures de lettres devant la fenêtre, grand thème du maître hollandais. Ensuite, lorsque la maladie se déclare, ce sont les clairs-obscurs de Rembrandt qui sont convoqués.

La première séquence est même prometteuse d'opposition qui s'incarnent dans l'image. L'aiguille qui perce l'étoffe symbolise à n'en pas douter la nécessité d'un déchirement pour produire une oeuvre d'art. Mais c'est justement ce déchirement qui manquera ensuite au film qui semble illustrer trop sagement la passion romantique qu'il s'est donné pour sujet.

 

Jean-Luc Lacuve le 15/01/2010