The lunchbox

2013

Semaine de la critique (Dabba). Avec : Irfan Khan (Saajan Fernandes), Nimrat Kaur (Ila), Nawazuddin (Shaikh), Denzil Smith (Mr. Shroff), Bharati Achrekar (Mrs. Deshpande), Nakul Vaid (Rajeev), Yashvi Puneet Nagar (Yavshi). 1h44.

Ila, une jeune femme délaissée par son mari habite le quartier Malad, au Nord de Bombay. Elle se met en quatre pour tenter de le reconquérir en lui préparant un savoureux déjeuner. Elle confie ensuite sa lunchbox au gigantesque service de livraison qui dessert toutes les entreprises de Bombay. En dépit d'une qualité de service admirée par les étudiants d'Harvard eux-mêmes, inexplicablement, la lunchbox est remise à Saajan, un homme solitaire, proche de la retraite qui se délecte de ce merveilleux repas. En voyant revenir la lunchbox vide, Ila se réjouit auprès de sa voisine du dessus, Auntie.

Le soir, Ila attend de son mari des compliments qui ne viennent pas. Rajeev dit seulement avoir aimé le chou-fleur et se précipite sur son téléphone. Comprenant qu'une erreur de livraison s'est produite, Ila laisse néanmoins repartir la lunchbox le lendemain en y glissant un petit mot pour remercier celui qui l'a mangé de lui avoir fait croire, l'espace de quelques heures, qu'elle avait réussi à retenir l'attention de son mari. Ila a préparé son plat préféré mais quand elle reçoit en retour le mot de Saajan, elle est offusqué qu'il se contente d'indiquer que le plat est trop salé. Ainsi, le lendemain, lui prépare-t-elle un plat à base de piments. Saajan comprend la leçon et parle un peu plus de lui afin de continuer le dialogue épistolaire avec celle dont il attend maintenant impatiemment le repas de 13 heures.

Parallèlement Saajan doit former son successeur, Shaikh, un jeune homme affable qu'il rabroue sans cesse. Shaikh n'y tenant plus lui affirme qu'il est orphelin, qu'il s'est toujours débrouillé tout seul et qu'il apprendra sans lui. Un peu honteux d'être maintenant si heureux de recevoir sa lunchbox et les mots qui vont avec, alors que Shaikh, comme des milliers d'Indiens, doit se contenter d'une pomme et d'une banane, Saajan accepte enfin de passer son savoir et raccompagne même Shaikh dans le train du soir. Shaikh invite Saajan à diner un soir et lui apprend qu'il vit avec une fille de bonne famille qui s'est opposé à leur amour. Mais la jeune fille a quitté sa famille pour lui et leur mariage va bientôt être célébré. Il lui demande d'être son témoin et d'inviter Ila.

Saajan a en effet reçu un mot de Ila demandant à le rencontrer après un série d'échanges où ils ont constaté leur proximité sur la dureté de la vie et leur nostalgie commune pour les vieux films, les vieilles séries télévisées, les vieilles chanson. Leur désarroi aussi face à celle qui s'est suicidée avec son enfant car la vie était trop dure. Ila a découvert l'infidélité de son mari et rêve d'aller au Bhoutan, promoteur d'un Bonheur national brut qui remplacerait l'implacable PNB. Elle a réussi à faire arrêter Saajan de fumer. C'est ainsi dans une tenue très soignée qu'il s'apprête à la rencontrer. Dans le train, on lui laisse sa place comme marque de respect dû à son âge et cela l'affecte tant qu'il ne vient pas au rendez-vous. Qui plus est, il doit prendre la défense de Shaikh qui s'est trompé dans les comptes de la société. Le lendemain la lunchbox lui arrive vide et Saajan rédige une lettre explicative ; certes on l'a pris pour une vieille personne dans le train mais, le matin déjà, en s'attardant dans sa salle de bain, il s'était rendu compte qu'il sentait l'homme vieux. Il était venu au rendez-vous, l'avait trouvé jeune et belle et avait alors renoncé à poursuivre leur relation tant il ne sentait pas capable de recommencer sa vie.

Saajan se retrouve ainsi seul au côté de Shaikh pour son mariage alors que sa femme est entourée de sa nombreuse famille. Il confirme alors son départ imminent à la retraite à laquelle il avait pourtant provisoirement renoncé. Shaikh, au lieu d'être son assistant, va pouvoir prendre sa place.

C'est ainsi Shaikh que Ila rencontre lorsqu'elle se décide à retrouver celui auquel on livrait la lunchbox. Shaikh la raccompagne sans pourvoir lui indiquer autre chose que le départ de Saajan pour une ville de banlieue où résident une majorité de vieillards.

Pourtant Saajan n'est pas heureux loin de Bombay et il revient dans son quartier. Parallèlement Ila écrit une lettre à Saajan où elle lui indique avoir vendu ses bijoux. Elle s'apprête à parti pour le Bhoutan avec sa fille. Peut-être Saajan lui donnera-t-il de ses nouvelles une fois installée. Saajan est lui-même, décidé à retrouver la trace de Ila. Il se renseigne auprès des livreurs de lunchbox pour retrouver l'adresse d'Ila.

La dure condition des femmes en Inde est évoquée dans The lunchbox. Le sujet n'est toutefois qu'effleuré alors qu'est privilégié un ton de comédie sentimentale légère et nostalgique.

Des femmes sans conditions et des hommes sans qualités

Auntie passe sa vie cloitrée dans son appartement à soigner son mari, "tonton", en état de catalepsie, obnubilé par le ventilateur de sa chambre. La mère d'Ila s'est occupée de longues années de son mari atteint du cancer des poumons. Une femme pour qui la vie est trop dure s'est suicidée en se jetant du haut d'un immeuble, son enfant dans les bras. Quand Auntie dit à Ila que la lunchbox préparée avec amour pour reconquérir son mari et va tellement plaire à ce dernier qu'il lui érigera un Taj Mahal, Ila lui rappelle qu'un Taj Mahal est une tombe.

Ila habite le quartier récent de Malad, au Nord de la ville dans un des appartements construits en masse à la fin du XXe siècle et alors accessibles à de nombreux couples de classe moyenne. C'est dans ces habitats très normalisés, semblables entre eux qu'elle se débat. Il n'est pas bien sûr qu'elle sorte autrement que par l'imaginaire de son milieu : difficile de croire en effet qu'elle va vivre une vie idyllique au Bhoutan avec sa fille alors qu'elle ne se bat pas vraiment pour confronter son mari à son infidélité.

L'ancien quartier de Bandra où vit Saajan, à l'Ouest de la ville, est beaucoup plus chic. On y trouve, entre d'imposantes villas, des maisons plus anciennes, transmises de génération en génération au sein de familles. C'est dans l'une d'entre elles que vit Saajan. Il passe beaucoup de temps dans les transports, à traverser l'énorme métropole qu'est Bombay, laissant Shaikh au passage en rentrant le soir. Il parait en exil de la vie depuis le décès de sa femme et n'a d'autre qualité à offrir qu'un minimum de courtoisie envers ses semblables. Il envisage par ailleurs d'aller passer sa retraite dans une ville sans charme, loin de Bombay que doivent choisir nombre de retraités.

Pour rejoindre ces deux pôles et le centre, les livreurs traversent Bombay à motocyclette ou à vélo pour livrer aux maris leurs repas de midi. L'aspect documentaire du film révèle que beaucoup de gens travaillent très loin de leur domicile. Les femmes devraient dès lors se lever très tôt dans la nuit pour cuisiner si elle voulait que le mari puisse emporter directement leur repas au travail... qui serait alors inévitablement froid. Manger de la bonne nourriture fraîche de chez soi est aussi une tradition de la ville de Bombay. Comme chaque communauté a sa cuisine traditionnelle, il est difficile de trouver dans restaurant ou une cantine d'où le fait que pour beaucoup d'Indiens, la nourriture basique du midi se compose d'une banane et d'une pomme.

Une comédie nostalgique douce-amère

Dans une Inde mondialisée et en pleine mutation où l'individualisme et les objets modernes occupent le terrain, The lunchbox joue la carte d'une communication désuète (lettre contre email, vieilles cassettes d'émissions populaires, souvenir des tombes anciennes horizontales, des transports moins bondés). La relation entre Ila et Saajan est basée sur le mal de vivre commun et partagé face à une société contemporaine trop pressée. Il faut tout l'idéalisme et le dynamisme de Shaikh, soutenu par l'amour de sa femme, pour espérer vivre heureux dans l'Inde moderne. Le film ne semble pas être dupe de l'improbable insuffisance des petits mots que Saajan glisse dans la poche de sa chemise près de son cœur pour changer le cours de la vie. "Un mauvais train peut conduire à la bonne gare" disait "la mère" de Shaikh. Encore faudrait-il qu'il y ait aujourd'hui une bonne gare en dehors de l'idéal enfantin d'un Bhoutan rêvé.

Ce n'est ainsi pas le moindre mérite de ce film que de garder le sourire et l'humour (l'histoire de l'aveugle) lorsque la modernité semble aller si cruellement dans le mauvais sens du progrès humain.

Jean-Luc Lacuve, le 20/12/2013