Melinda et Melinda

2004

(Melinda and Melinda). Avec : Will Ferrell (Hobie), Neil Pepe (Al), Stephanie Roth Haberle (Louise), Radha Mitchell ( Melinda ), Chloë Sevigny (Laurel), Chiwetel Ejiofor (Ellis), Josh Brolin (Greg), Jonny Lee Miller (Lee), Wallace Shawn (Sy ), Larry Pine (Max), Matt Servitto (Jack), Arija Bareikis (Sally), Brooke Smith (Cassie), Zak Orth (Peter). 1h40.

A New York, dans un restaurant de Manhattan, un groupe d'amis discute du meilleur instrument pour explorer la condition humaine. Deux auteurs, l'un de tragédies l'autre de comédies, se remettent en question : "L'existence humaine n'a en vérité rien de drôle, elle est pathétique", dit le premier. "Pas d'accord, répond l'autre. Si les philosophes disent de la vie qu'elle est absurde, c'est parce qu'on finit toujours par en rire, et que nous en avons besoin !"

Pour les départager, un des convives leur propose une histoire neutre, à charge pour chacun des partisans de la passer aux couleurs de son genre de prédilection.

Le postulat est le suivant : alors que se prépare un dîner mondain dont les enjeux professionnels sont déterminants pour les hôtes, une jeune femme que personne n'attendait fait irruption. Melinda, le nom du personnage, et Radha Mitchell, l'actrice australienne qui l'incarne, sont les seuls points communs aux deux histoires.

Côté larmes, elle débarque chez une amie de lycée qui vit dans Greenwich Village plusieurs mois après avoir annoncé son arrivée. Côté rire, elle vient demander à ses nouveaux voisins, quelque part vers Central Park, de l'aider à surmonter une surdose de somnifères...

Mélinda et Mélinda s'inspire du principe à l'œuvre dans Smoking/No smoking où, selon les circonstances, les personnages se révèlent de façon différente. Il en va de ces films tout autrement que dans Le hasard de Kieslowski ou, plus récemment, L'un part, l'autre pas où les conséquences d'un petit changement sont tellement radicales que les personnages en deviennent complètement différents.

Ici le dédoublement permet surtout d'enrichir la psychologie des personnages en les rendant plus complexes que le déroulé d'une seule vie leur aurait permis. Le dédoublement permet également de provoquer des effets d'inquiétante étrangeté et de permettre à certains personnages d'atteindre une liberté et une grâce en éloignant d'eux la culpabilité, thème omniprésent dans le cinéma de Woody Allen.

Inquiétante étrangeté, grâce et liberté autant de motifs éloignés de l'esprit de système auquel le titre et surtout l'affiche du film semblent renvoyer. Il est probable qu'au départ Woody Allen ait voulu opposer une version gaie et une version tragique d'un même personnage mais que, chemin faisant, il ait abandonné ce systématisme.

Le film bénéficie d'un casting tout à fait extraordinaire, terriblement homogène. Radha Mitchell est très bien mais ne surclasse jamais ses partenaires et permet à chacun d'eux de tirer son épingle du jeu. Chacun des convives de Manhattan est intéressant sans, là encore, qu'aucun ne se détache pour donner l'esprit du maître. Will Ferrell, acteur habitué aux rôles assez lourdauds, ici brillantissime, qui interprète Hobie, le personnage qui s'en tire le mieux, ne représente ainsi pas Woody Allen. Pas plus que, chez les femmes, Laurel, la femme fidèle soit, plus que Louise, la metteuse en scène, son alter ego.

Dès lors, ce sont les petits décalages qui portent le plus d'effet de sens. L'apparition de la version fade de Ellis le pianiste, les scène difficiles sur le lit où Louise annonce à Hobbie qu'il ne jouera pas le rôle du psychiatre et où, Laurel vient demander à Al des compte sur la clé trouvez dans la salle de bain, le rôle raté de la lampe magique (apparition de Ellis et annonce anticipé de la déclaration d'amour).

Ces effets de dédoublement et d'étrangeté sont probablement pour Woody Allen le sel de la vie. Le seul personnage qui n'en bénéficie pas, restant toujours à l'identique, est la troisième copine, mariée, bourgeoise et conventionnelle, le personnage probablement le moins sympathique. Plus intéressant encore, les deux artistes, la réalisatrice et l'acteur de théâtre passent progressivement à l'arrière-plan au fur et à mesure que se dessine mieux leur partenaire.

Humour omniprésent : "J'ai rêvé que j'étais pris en train de tromper ma femme et que je me retrouvais convoqué au tribunal de Nuremberg". L'effet de boitement aux courses pour apitoyer. Le gag de la robe de chambre qui ne se dénoue qu'au moment où Melinda vient avouer son amour. Quelques effets plus sauvages. L'humour vachard sur l'hyper-masculinité : "-vous êtes gynécologue je crois", "-non dentiste", "-oui, c'est pareil", la séance de trampoline et les trophées de chasse ou, plus tragique, Mélinda, fragile, ayant tout perdu, maintenue au sol par celui qui ne sera plus jamais son amant.

Jean-Luc Lacuve, le 24/01/2005.

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