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Moi-même, portrait paysage
(1844-1910)
Art Naïf

Henri Rousseau est considéré comme un représentant majeur de l'art naïf. Profondément singulière, sa peinture le rapproche néanmoins du grand courant expressionniste qui déforme les lignes et intensifie les couleurs pour exprimer la singularité de l'artiste. Il peut ainsi être considéré comme un précurseur de l'art moderne. Son travail a d'ailleurs influencé de nombreux artistes, notamment des surréalistes.

Issu d'une famille modeste, il étudie le droit avant de partir à Paris, où il travaille dans un octroi. Cette position lui vaut son surnom de "douanier". Ses toiles montrent une technique élaborée, mais leur aspect enfantin a valu beaucoup de moqueries à Henri Rousseau qui commence à recevoir des critiques positives à partir de 1891. Il rencontre alors d'autres artistes comme Marie Laurencin, Robert Delaunay, Paul Signac, Guillaume Apollinaire, Jean-Léon Gérôme, Alexandre Cabanel, Edgar Degas, William Bouguereau, Paul Gauguin, Alfred Jarry, Toulouse-Lautrec et Pablo Picasso. Paul Eluard a dit de lui que "Ce qu’il voyait n’était qu’amour et nous fera toujours des yeux émerveillés". Il a peint au cours de sa vie près de 250 tableaux dont une centaine sont perdus, beaucoup ayant été donnés en guise de paiement.

Moi-même, Portrait-paysage Prague, Musée Narodni 1890
Portrait de Monsieur X Zurich, Kunsthaus 1891
Surpris ! Londres, National Gallery 1891
L'enfant à la poupée Paris, Musée de l'Orangerie 1892
La guerre Paris, Musée d'Orsay 1894
Portrait de femme Paris, musée Picasso 1895
Portrait de madame M Paris, Musée d'Orsay 1897
La bohémienne endormie Paris, Musée d'Orsay 1897
La noce Paris, Musée de l'Orangerie 1905
Les représentants des puissances étrangères venant saluer la République en signe de paix Paris, musée Picasso 1907
La charmeuse de serpents Paris, Musée d'Orsay 1907
Le combat du tigre et du buffle Saint-Pétersbourg, Ll'Ermitage 1908
La carriole du père Junier Paris, Musée de l'Orangerie 1908
Le rêve New York, MoMA 1910

Henri Rousseau dit Le Douanier Rousseau nait le 21 mai 1844 à Laval dans sa maison familiale. Issu d'une famille modeste, il est le troisième enfant de Julien Rousseau, ferblantier. Il fait ses études à l'école primaire et au lycée de Laval (où il reçoit un prix de dessin) de 1849 à 1850 mais est mis en pension en 1851 en raison de la faillite de l'entreprise paternelle qui contraint ses parents à déménager plusieurs fois.

Peu doué pour les études, il devient commis d'avocat à Nantes de 1860 à 1863. Ayant dérobé une somme de 20 francs à son employeur l'avocat Fillon, il est condamné à un an de prison pour vols et abus de confiance. Pour échapper à la maison de correction pour mineurs, il signe un engagement volontaire sept ans dans l'armée et est affecté au 51e régiment d'infanterie à Angers. Il est libéré en 1868 à la suite du décès de son père et rejoint alors Paris.

Il épouse le 14 août 1869 Clémence Boitard avec qui il aura neuf enfants, dont huit mourront avant 1886. Il travaille d'abord comme clerc d'un huissier puis entre, après la guerre de 1870, à l’Octroi de Paris, comme commis de deuxième classe. Cet organisme perçoit les taxes des marchandises entrant dans Paris. C'est Alfred Jarry qui lui donnera son surnom de "douanier" lorsqu'il apprend que son ami occupe à l'octroi de Paris le poste de "gardien des contrôles et des circulations du vin et de l'alcool". Les critiques de l'époque reprendront ce surnom pour se moquer de lui.

Mais l'entrée dans la vie artistique d'Henri Rousseau est relativement tardive, vers l'âge de quarante ans. Il n'a jamais bénéficié de formation académique, mais cherche à apprendre les codes de la peinture officielle auprès de peintres comme Gérôme, Clément, dont il est un temps le voisin, ou Bouguereau, dont il admire la "couleur chair". En 1884, l'apprenti peintre obtient l'autorisation d'exécuter des copies au Louvre ; il se rend aussi au musée du Luxembourg ou à Versailles. Rousseau ne suit pourtant de règles que les siennes propres, transformant la peinture lisse des académiques en un langage singulier aux accents oniriques. Très conscient de l'originalité de son art, il s'attache à en conserver l'apparente naïveté, acquise, selon ses propres mots, "par un travail opiniâtre".

Il tente sans succès d'exposer au Salon officiel en 1885 et c’est seulement en 1886 qu'il participe au Salon des indépendants, grâce à l'absence de jury d'entrée. Il y expose quatre tableaux, dont Une soirée au carnaval, qui retiennent peu l'attention. Ils susciteront longtemps l'incompréhension et les sarcasmes de la critique et de ses contemporains qui le considèrent comme un "peintre du dimanche".

Portraits

Rousseau peint Moi-même, Portrait-Paysage pour le salon des Indépendants de 1890. Comme pour un portrait officiel, il s'y représente en pied, raide dans un costume noir rehaussé à la boutonnière d'une médaille (les palmes académiques qu'il aurait tant aimé recevoir ?). Le béret enfoncé sur la tête, il tient fièrement palette et pinceau. Le bateau pavoisé, le ballon naviguant entre les nuages, et jusqu'à la tour Eiffel, apparue un an auparavant dans le ciel de Paris, semblent célébrer la gloire du peintre autant que la modernité. Rousseau se proclamera, quelques années plus tard, l'inventeur du "portrait-paysage" où la stylisation vigoureuse rappelle les primitifs italiens qui donnent une dimension aux objets en fonction de leur importance émotionnelle.

Peu nombreux dans la production de Rousseau, les portraits d'enfants comptent pourtant parmi les images les plus troublantes et les plus fascinantes peintes par l'artiste. A ses yeux, le monde de l'enfance n'est ni joyeux ni insouciant : présentés en des poses rigidement frontales, sur un arrière-plan de paysages immobiles, ses modèles fixent le spectateur avec un regard d'adultes, mélancoliques et inquiétants. Ainsi L'enfant à la poupée (1892) une fillette en robe rouge apparaît sur l'arrière-plan d'un pré vert parsemé de petites fleurs. Plongée dans une solitude à laquelle sa poupée ne semble pas pouvoir porter remède, elle nous communique une impression d'étrangeté que l'artiste renforce par des "erreurs" anatomiques : le modèle n'a pas de cou et ses jambes sont montrées de profil malgré sa frontalité. La perspective simplifiée rappelle les œuvres des primitifs italiens, tel Paolo Uccello.

Tout au long de sa carrière, le peintre a réalisé des portraits de ses proches, amis artistes ou simples voisins du quartier populaire de Plaisance : il prenait les mesures précises du visage de ses modèles et s'aidait parfois du pantographe, un appareil permettant de reproduire en respectant les proportions. Il a également travaillé d'après des clichés photographiques : les huit personnages de La Noce (1905), jusqu'au chien qui les accompagne, présentent ainsi des traits bien individualisés. Pourtant, ils ont l'apparence de silhouettes sans profondeur. Pour La carriole du Père Junier, (1908) l'artiste s'inspire encore d'une photographie prise lors d'une promenade avec ses amis. Réinterprétant la végétation, arrangeant à son goût la position des personnages, il malmène avec tranquillité les lois de la perspective traditionnelle, et aligne les modèles de face.

Jungles

Sa notoriété s'accroît avec les années et il continue de participer chaque année au Salon des Indépendants. En 1891, il y montre son premier " tableau de jungle", Surpris !, représentant la progression d'un tigre dans une brousse luxuriante. Cette œuvre est particulièrement appréciée par le peintre Félix Vallotton, parlant à son propos d'Alpha et d'Oméga de la peinture. Bien qu'il n'ait jamais quitté Paris, Rousseau donne corps à un véritable monde exotique dans ses tableaux de "jungles" : ces visions fantastiques, suspendues entre rêve et réalité, demeurent la partie la plus connue de sa production. Fasciné par les récits de voyage de ses camarades artilleurs revenus de la guerre du Mexique et par les pavillons de l'Exposition universelle de 1899, il invente un univers magique et mystérieux, trouvant son inspiration lors de fréquentes visites au Jardin des Plantes et au Muséum national d'Histoire naturelle, ou encore dans des albums d'images exotiques largement diffusés, tel l'Album des bêtes sauvages, publié au début du XXe siècle par les éditions des Galeries Lafayette. Toutes ces influences ont alimenté des toiles riches en détails, au chromatisme éclatant, dont les motifs réels coexistent avec des inventions fabuleuses. Outre des scènes montrant des combats entre animaux sauvages, métaphores d'une perpétuelle lutte pour la vie (Le lion ayant faim, Cheval attaqué par un jaguar), le Douanier a peint des visions idylliques (La Cascade, Forêt tropicale avec singes) empreintes de la nostalgie pour un paradis perdu à la nature intacte. L'iconographie demeure parfois énigmatique : dans Joyeux farceurs deux singes sont représentés au coeur d'une jungle luxuriante avec une bouteille de lait renversée et un gratte-dos, objets dont la signification est inconnue.

D'abord critiquées par leur manque de réalisme et leur naïveté, ses "jungles" seront plus tard reconnues comme des modèles par tous, d'où cette phrase de Guillaume Apollinaire lors du salon d'Automne où Rousseau exposa Le Rêve en 1910 : "Cette année, personne ne rit, tous sont unanimes : ils admirent". » Il écrivit dans Les soirées de Paris en 1914 : "Rousseau est sans aucun doute le plus étrange, le plus audacieux et le plus charmant des peintres de l'exotisme".

Reconnaissance et rencontres

Sa femme meurt de la tuberculose en 1888 et sa situation financière devient difficile. Il héberge un temps l'écrivain Alfred Jarry et il prend sa retraite de l'octroi en 1893 pour se consacrer à la peinture, ce qui ne lui apporte pas suffisamment de revenus pour vivre. Il donne alors des cours de violon et écrit plusieurs pièces de théâtre. Il se remarie en 1899 avec une veuve, Joséphine-Rosalie Nourry, qui mourra en 1903.

Lorsque Rousseau présente La Guerre au salon des Indépendants de 1894, son originalité absolue retient l'attention. Le peintre, qui admirait l'art académique de son temps, y renoue pourtant avec le genre allégorique.

Petit à petit, il se fait reconnaître et estimer par les peintres avant-gardistes tels qu'André Derain ou Henri Matisse. Il se lie d'amitié avec Robert Delaunay, avec Guillaume Apollinaire, puis avec Pablo Picasso.

Picasso acquiert son Portrait de femme, en 1905 chez un brocanteur pour la modeste somme de cinq francs. Mais il obtint davantage de succès par la suite, puisqu'il fut présenté lors du célèbre banquet organisé par le maître espagnol au Bateau-Lavoir, à l'automne 1908, pour rendre hommage à Rousseau. Pablo Picasso. Dans Maya à la poupée, où sa fille est isolée en un dialogue muet avec son jouet, le maître espagnol semble s'inspirer explicitement de L'enfant à la poupée (1892)

Fernand Léger rencontre Rousseau grâce à l'entremise de Robert Delaunay en 1909. Grand admirateur de son oeuvre, Léger rend dans Le Mécanicien (1918) un hommage explicite à son Portrait de Monsieur X : il voyait en celui qu'Apollinaire se plaisait à nommer le "maître de Plaisance" le digne représentant d'un "réalisme de conception", dont il trouvait également les racines dans l'art des primitifs italiens. Léger n'est pas le seul peintre à avoir cherché dans les portraits de Rousseau une nouvelle voie pour la modernité : le Portrait de l'artiste à la lampe, et son pendant, celui de sa seconde femme, ont longtemps appartenu à Delaunay, avant d'être achetés par Picasso.

Kandinsky découvre son œuvre dès 1906-1907, lorsqu'il se rend à Paris avec sa compagne, Gabriele Münter. Il acquiert quelques années plus tard deux toiles du peintre : Le Peintre et son modèle (1900-1905) et La Basse-cour, que Kandinsky présentera en 1911 dans la première exposition du Blaue Reiter à la galerie Tannhäuser de Munich. En mars 1912, le groupe publie un almanach dont la richesse des illustrations vise à présenter les différents aspects de l'art des origines que recherche le mouvement munichois. Kandinsky y signe un essai intitulé Über die Formfrage (Sur la question de la forme), qu'il illustre de sept œuvres de Rousseau, aux côtés d'œuvres figuratives empruntées à la tradition réaliste populaire. L'almanach reproduit également un Portrait de Kandinsky par Gabriele Münter, où la simplification des traits et la vivacité de la gamme chromatique semblent dialoguer avec l'œuvre du Douanier.

En 1909, Rousseau vend enfin des tableaux au marchand Ambroise Vollard, pour plus de 1 000 francs, ce qui lui permet d'acheter un atelier au no 2 bis de la rue Perrel, dans le 14e arrondissement de Paris, où il est surnommé le « maître de Plaisance ».

Le 2 septembre 1910, il meurt des suites d'une gangrène de la jambe à l’hôpital Necker à Paris, qui d'ailleurs l'enregistra comme "alcoolique". Ses amis étant absents, sept personnes suivent son cercueil jusqu'au cimetière de Bagneux où ,sans le sou, il est inhumé dans une fosse commune. L'année suivante quelques intimes se cotisent pour faire déposer sa dépouille dans une concession trentenaire. Le 12 octobre 1947, à l'initiative de l'Association des Amis d'Henri Rousseau, ses restes sont transférés dans le jardin de la Perrine à Laval, sa ville natale où il repose toujours ; sur sa pierre tombale est gravée une longue épitaphe inscrite à la craie par Apollinaire et le peintre est figuré de profil dans un médaillon en bronze, œuvre du sculpteur Constantin Brâncuși.