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(1412-1492)
Renaissance

Piero della Francesca, de son nom complet Piero di Benedetto de Franceschi ou encore Pietro Borghese, est né entre 1412 et 1420 à Borgo San Sepolcro (aujourd'hui Sansepolcro) dans la haute vallée du Tibre en république de Florence Il est aujourd'hui vu surtout comme un peintre, mais au Quattrocento (xve siècle italien), il était aussi connu comme géomètre et mathématicien. Figure importante de la Renaissance italienne, Piero fait partie de la deuxième génération des peintres-humanistes. Il est le maitre de La perspective mathématique même s'il n'est pas, comme  Uccello, un pionnier de cet art, découvert à Florence vers 1420 par Brunelleschi et théorisée par Alberti. Piero pousse en effet le plus loin la démonstration mathématique dans la construction de La flagellation du Christ, dont l'interprétation a été complètement renouvellée en 2021.

Il n’y  a pas de contradiction entre science et foi pour Piero. Les mathématiques sont mises au service de la foi et de la théologie. Son travail s'inspire ainsi à la fois de la perspective géométrique, de la plasticité de Masaccio, de la lumière intense qui éclaire les ombres et sature les couleurs de Fra Angelico et Domenico Veneziano et de la description précise et réaliste flamande de Rogier van der Weyden. Une étrange et envoutante poésie se dégage ainsi de la peinture de Piero della Francesca qui provient du contraste étonnant entre un dessin et une composition savante et géométrique et une douce et subtile lumière qui nimbe les corps.

Polyptique de la miséricorde 1450 Sansepolcro
Le baptême du christ 1450 Londres, National Gallery
Saint Jérôme pénitent 1450 Berlin, Staaliche museum, Gemäldegalerie
Saint Jérôme et un dévot 1452 Venise, Musée de l'Académie
La flagellation du christ 1460 Urbino, galerie nationale des Marches
Chapelle de saint François 1460 Arrezo
La resurrection 1463 Sansepolcro
La madonne du parto 1467 Monterchi
Polyptique de saint Antoine 1470 Pérouse
L'Annonciation 1470 Pérouse
Double Portrait des ducs d'Urbino 1473 Florence, Musée des Offices
La Madone de Senigallia 1474 Urbino, Galerie nationale des Marches
Madone à l'enfant avec des saints 1474 Milan, pinacothèque de Brera
La nativité 1475 N.G. , Londres

Une vie, un nom, un portrait soumis au doute

Piero della Francesca est né entre 1406 et 1420, probablement en 1412, à Sansepolcro, que Vasari appelle "région de Borgo Sansepolcro", au sud-est de la Toscane. Cette zone frontalière dans le milieu du xve siècle, a changé plusieurs fois de souveraineté : au début aux mains de Rimini, puis dans celles de la république de Florence et plus tard dans celles des États pontificaux. Sa date de naissance ne nous est pas connue car un incendie a touché les registres civils dans les archives municipales de Sansepolcro. Le premier document mentionnant Piero est un testament daté du 8 octobre 1436, document à partir duquel on peut déduire que l'artiste devait avoir au moins l'âge prescrit à savoir 20 ans pour un document officiel. Son père Benedetto de Francesci était un richissime marchand d'étoffes et sa mère Romana di Perino da Monterchi appartenait à une famille ombrienne noble.

On ignore pourquoi, peu avant sa mort, il s'appelait « della Francesca » au lieu de « di Benedetto » ou « de' Franceschi ». La proposition de Vasari disant qu'il avait emprunté le nom de sa mère parce que son mari était mort pendant qu'elle était enceinte, ne peut être retenue. Piero était le fils aîné du couple qui eut après quatre autres fils (deux sont morts jeunes) et une fille.

On ignore enfin quels étaient les traits de Piero. Au milieu du XVIe siècle, la seconde édition (1568) des Vies des peintres illustres de Giorgio Vasari propose un portrait gravé sur bois de Piero della Francesca. Celui-ci  se présente sous les traits avenants d’un beau jeune homme à l’abondante chevelure bouclée. Quoique tardif et sans source avéré ce portrait a pourtant fondé la tradition locale. Ce pseudo portrait de Piero della Francesca a conduit à considérer comme un autoportrait l’homme en prière, le troisième en partant de la gauche, situé sous le manteau de la madone du Polyptique de la Miséricorde, mains jointes, le regard levé vers la vierge. Il présente en effet des cheveux frisés qui constituent le principal attribut iconographique de la figure gravée de Vasari. On retrouve un autre personnage répondant à d’identiques critères physionomiques, adossé au tombeau du christ, parmi les soldats assoupis de La résurrection.

P our démystifiante qu’elle soit, la proposition d’identifier les traits du personnage de la Flagellation à ceux d’un Piero déjà relativement âgé ne manque pas d’arguments. Piero a consacré un temps, une énergie, une intelligence considérable au petit tableau de La flagellation du Christ. Ce tableau qui lui a demandé le plus de temps et le plus de calculs préparatoires peut faire penser qu’il en est le principal destinataire. Lui seul peut alors comprendre la perspective comme science. Il a probablement introduit son autoportrait, le personnage de droite, tel que Luca Pacioli le décrit : "le monarque de la peinture et de l’architecture". Cette interprétation conduit Franck Mercier à reconnaitre dans le pénitant avec saint jérôme, un autre autoportrait de Piero della Francesca, représenté à un âge évidemment moins avancé que dans la Flagellation. Si l'on admet comme invite à le faire l'état récent de la recherche que Piero est né vers 1412, il aurait donc approximativement une quarantaine d'années au moment de l'exécution de ce panneau, un peu plus de cinquante ans pour la Flagellation. Entre temps , il sest aussi represnete sous les traits de l’homme en prière, le deuxième en partant de la gauche, situé sous le manteau de la madone du Polyptique de la Miséricorde,

Piero à Sansepolcro

Piero reçoit l’éducation habituelle, dispensée par un maestro di grammatica qui lui enseigne la lecture, l’écriture et les rudiments de latin. Comme la plupart des fils de marchands, il suit les cours d’un maestro d’abaco, qui lui apprend le calcul, un peu d’algèbre, de géométrie et le prépare à tenir une comptabilité. Ses parents espéraient qu’il allait suivre les traces de son père ce qui ne fut pas le cas. Piero se découvre une passion artistique, il apprend les rudiments de l’art dans sa ville natale, situé à l'intersection des influences florentines, ombriennes et siennoises, auprès du seul artiste-peintre connu de la cité. Le premier artiste avec qui il a collaboré fut Antonio di Anghiari. C'était l'associé de son père pour la fabrication d'étendards, actif et résident de Sansepolcro, comme l'atteste un document de paiement datant du 21 octobre 1436 relatif à une commande de blasons et d’étendards ayant des insignes communaux et papaux pour les portes et les tours de la ville, et sur lequel le nom de Piero della Francesca figure aux côtés de celui d’Antonio. Il aurait collaboré avec Antonio entre 1432 et 1436.

En 1438, Piero est de nouveau cité dans un document à Sansepolcro où il figure comme l'un des assistants d'Antonio, à qui il a été confié entretemps la réalisation d'un retable pour l'église San Francesco (plus tard exécuté par Sassetta). Savoir si Piero s'est formé en ayant comme maître Antonio est difficile à dire étant donné que ce dernier n'a laissé aucun écrit.

Piero artiste itinérant : Pérouse, Florence, Sansepolcro, Urbino, Ferrare, Bologne, Ancône, Rimini

En 1437-1438, il collabore probablement avec Domenico Veneziano à Pérouse. En 1439, la présence de Piero est documentée à Florence pour la première fois, ville où il a peut-être fait sa véritable formation. Il a pu être présent à Florence dès 1435. À cette date, cela faisait dix ans que Masaccio avait disparu. À Florence, Piero est apprenti chez Domenico Veneziano. Le 7 septembre 1439, il est cité comme collaborateur à la réalisation d'un cycle de fresques - aujourd'hui perdu - dédié à la Vie de la Vierge dans le chœur de Sant'Egidio. Il rencontre Fra Angelico grâce à qui il a accès aux travaux de Masaccio et aux autres travaux des maitres de l'époque de Brunelleschi. La peinture lumineuse et la palette claire et raffinée de Domenico Veneziano influencent Piero tout comme le style moderne et vigoureux de Masaccio qui donne lieu à quelques caractéristiques fondamentales de son travail ultérieur.

La première œuvre qu'on a conservée de lui est la Vierge à l'Enfant, qui se trouve actuellement dans la collection Contini Bonacossi, attribué à Piero pour la première fois en 1942 par Roberto Longhi. Elle date des années 1435-1440 quand Piero travaillait encore comme collaborateur de Domenico Veneziano.

En 1442 Piero est de retour à Sansepolcro où il est l'un des popolari Consiglieri (conseillers du peuple) du conseil communal. Le 11 janvier 1445, la Fraternité locale de la Miséricorde le charge de peindre un retable pour l'autel de son église : Polyptyque de la Vierge de Miséricorde. Le contrat prévoit la réalisation de l'œuvre en trois ans, mais elle sera retardée de plus d'une quinzaine années et une partie sera peinte par des collaborateurs de l'atelier de Piero.

Piero a ensuite été sollicité par divers princes. Dans les années 1440, on le trouve dans différentes cours italiennes : Urbino, Ferrare et probablement Bologne où il a réalisé des fresques qui ont été perdues ensuite. À Ferrare, il a travaillé entre 1447 et 1448 pour Lionel d'Este, marquis de Ferrare. En 1449, il a exécuté plusieurs fresques dans le Château d'Este et dans l'église Saint-André de Ferrare, qui sont également perdues. Piero a pu avoir ici un premier contact avec la peinture flamande, rencontré Rogier van der Weyden directement ou à travers les œuvres qu'il a laissées à la cour.

Le 18 mars 1450, il est documenté à Ancône, comme témoin d'un testament (récupéré récemment par Matteo Mazzalupi) de la veuve du comte de Giovanni di messer Francesco Ferretti. Dans le document, le notaire spécifie que les témoins sont tous « citoyens et habitants d'Ancône », de sorte que Piero était probablement pour quelque temps l'hôte de l'importante famille ancônitaine et peut-être le peintre du tableau Saint Jérôme pénitent, daté précisément de 1450.

En 1451, il était à Rimini appelé par Sigismond Malatesta. Là-bas, il lui est confié le décor de la chapelle des reliques du Temple Malatesta. Sa fresque monumentale du "Loup de Rimini", Sigismond Malatesta priant saint Sigismond, son saint patron et roi des Burgondes, prend place dans un cadre en trompe-l'œil. Il a également fait un portrait du condottiere. C'est probablement à Rimini qu'il a rencontré un autre célèbre mathématicien et architecte de la Renaissance, Leon Battista Alberti.

Les fresques de l'église San Francesco à Arezzo

En 1452, Piero della Francesca fut appelé à réaliser, à la place de Bicci di Lorenzo mort en 1452, une série de fresques qui l'ont fait connaître et qui font partie des œuvres les plus significatives de la Renaissance : les fresques de L'église San Francesco à Arezzo, dédiées à La Légende de la Vraie Croix, tirée de La Légende dorée de Jacques de Voragine, thème appartenant traditionnellement au registre de l'iconographie franciscaine. C'est la famille Bacci, la plus riche d'Arezzo, qui lui a commandé la décoration du chœur et de la chapelle absidiale de l'église dédiée à saint François d'Assise. En 1447 les Bacci avait embauché Bicci di Lorenzo, de tradition gothique tardif, qui n'avait pu achever que la fresque de la coupole juste avant sa mort. Les Bacci ont donc par la suite embauché Piero pour achever le travail qu'on peut découper en deux périodes : 1452-1458 et 1460-1466 après son passage à Rome. À la fin de 1466, la confrérie arétine de l'Annonciation a commandé une bannière avec l'Annonciation, citant dans le contrat le succès des fresques de Saint-François comme un motif de la commande dont, pour cette date, le cycle devait être achevé.

Piero part, malgré l'engagement dans ce chantier monumental et témoignage de son génie, pour réaliser la fresque représentant sainte Marie-Madeleine, dans le dôme d'Arezzo, en 1460. Il peint, la même année, la Madonna del Parto pour la chapelle Santa Maria di Nomentana du cimetière de Monterchi, bourgade voisine de Borgo Sansepolcro et ville de naissance de sa mère. Il peint aussi La Flagellation. Il exécute, les années suivantes, le polyptyque de saint Augustin, dont il ne reste que quatre panneaux. Il réalise également, au cours de ces années-là, la Résurrection sur un mur de la salle du Conseil de San Sepolcro, devenue aujourd'hui un musée.

Vers 1467-1469, Piero peint le retable du couvent San Antonio à Pérouse.

De nouveau il revient à Arezzo pour livrer l'étendard de la confrérie de l'Annunziata en 1468. Ensuite, il repart à Urbino où Frédéric III de Montefeltro, duc d'Urbino, l'associe en 1465 aux architectes Alberti et Luciano Laurana. Il leur confie la rénovation de son palais. Le diptyque des ducs d'Urbino(1473), intitulé Triomphe de la chasteté, qui rassemble les portraits de Frédéric et de son épouse Battista Sforza, les représente de profil sur un fond de paysage en perspective. Il travaille également pour une œuvre représentant l'Eucharistie. Il revient à Arezzo pour les fresques de la Badia en 1473, et à Sansepolcro en 1478, pour l’exécution d’une fresque de la Vierge commandée par la confrérie de la Miséricorde. On le retrouve à la tête de la confrérie de San Bartolomeo entre 1480 et 1482. Le 22 avril 1482, il loue « une maison avec un puits » à Rimini. Le 5 juillet 1487, il établit son testament. Il meurt à Sansepolcro, aveugle, le 12 octobre 1492.

Source : Franck Mercier, Piero della Francesca, une conversion du regard, Editions : Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 2021.