La carrière d'un roué
William Hogarth
1735
 
 
The Rake’s progress
William Hogarth, 1735
Huit gravures au burin, 8 fois 31 x 38 cm environ
Londres
   

La série La Carrière d'un Roué (The Rake’s progress), entamée en 1731 et achevée en 1733, paraît en juin 1735 : Hogarth en retarda la diffusion jusqu'à ce qu'une loi sur la propriété artistique eût été votée par le Parlement Cette loi, connue Sous le nom de "loi Hogarth" instituait un copyright et donnait aux artistes un moyen de protection légale contre le piratage.

La Carrière d'un Roué raconte en huit planches les aventures de Tom Rakewell, depuis le moment où il hérite d'un riche marchand avare jusqu'à sa fin dans une maison de fous. Les descriptions des scènes de La Carrière du Roué sont empruntées à la monographie de Burke et Caldwell consacrée à l'oeuvre gravé de Hogarth (Paris, 1988).

Igor Strawinsky s'est inspiré de la série de Hogarth pour son opéra The Rake's Progress (1951) et Mark Robson pour Bedlam.

I. Le jeune héritier prend possession des biens de l'avare

(Burin, 31,5 x 38,5 cm)

Un tailleur prend les mesures de Tom Rakewell, qui se fait faire des vêtements de deuil : il vient d'hériter d'un riche marchand. Mrs Young et Sarah, sa fille, font irruption. Tom Rakewell a séduit la jeune fille, elle est enceinte et il lui avait promis le mariage. Il lui offre maintenant de l'argent pour se débarrasser d'elle.

De nombreux détails traduisent I'avarice du défunt. Un ouvrier en train de tapisser la pièce d'un drap mortuaire, découvre un magot caché. Sur la tablette de la cheminée, on distingue un "économiseur" de chandelle. Le placard contient une collection de vieilles perruques et de vieilles chaussures, etc. Un coffre est plein d'argenterie et de sacs d'argent, et sur un journal particulier on peut lire : "Fait passer mon shilling faux". L'intendant, ou notaire, remarque que l'héritier n'a pas compté la poignée de guinées qu'il a prises dans le sac, et il dérobe d'autres pièces derrière son dos.

   
II. Le Lever du Roué (entouré d'artistes et de professeurs)

(Burin, 31,1 x 38,3 cm)

Le lever du roué se fait en présence d'une assemblée de flatteurs : maître de danse français avec son violon, un architecte paysagiste , James Fogg, le boxeur avec ses bâtons d'escrime, et le maître d'armes français Dubois, tué en duel le 10 mai 1734; de l'autre côté un jockey à genoux avec un trophée signé à Epsom par le cheval "Silly Tom", et un personnage qui essaye un cor de chasse. Le musicien au clavecin à gauche est Nicolas Porpora, qui dirigeait le Théâtre du roi à Haymarket et était l'ennemi du favori de Hogarth, Haendel. Le rouleau de papier est une liste de cadeaux ridicules mais coûteux, que la noblesse anglaise aurait offert à Farinelli, le fameux castrat italien lancé par Porpora; dans le fond le petit poète rabougri, en train de lire une "Epitre à Rake..,", est une allusion à la pratique courante de Pope de dédier des épîtres à des protecteurs aristocratiques.
   
III. L'Orgie

(Burin, 31,2 x 36,5 cm)

Le Roué et ses compagnons sont à la Taverne de la Rose à Drury Lane : le Roué vient de s'emparer de la lanterne et du bâton d'un veilleur de nuit. Il est complètement saoul et ne s'aperçoit pas qu'on lui vole sa montre.

Au premier plan, une femme se déshabille et se prépare à s'exhiber sur le plateau qu'apporte un garçon. Une fille ivre, montée sur une chaise, essaie de mettre le feu à une carte du monde avec une chandelle. Les tableaux au mur sont les portraits des empereurs romains par Titien, mais les têtes ont été découpées, à l'exception de celle de Néron, le plus dépravé de tous. Le Roué en est au même degré de dégénérescence que Néron, et son univers, ou son empire ne vont pas tarder à s'effondrer autour de lui.

   
IV. Arrêté pour dettes

(Burin, 31,7 x 38,7 cm)

Le Roué se rend au palais de Saint-James, au lever du roi, ce qui constitue le couronnement de son ascension sociale. Il est cependant méfiant : ses créanciers le poursuivent et le Roué préfère se déplacer en chaise à porteurs fermée. Il est pourtant découvert et arrêté. Sa fidèle maîtresse, Sarah Young, devenue couturière, se trouve fort à propos sur les lieux pour offrir ses économies. Un allumeur de lanterne est si distrait par cette arrestation qu'il renverse l'huile destinée à la lanterne.

Hogarth porte une attaque contre le jeu. Un coup de foudre va frapper White's Club, club et maison de jeu de l'aristocratie. A droite, sur un poteau, l'inscription Black, et devant le poteau un groupe de gamins des rues, dont certains sont cireurs de chaussures constituent un club rival à celui de l'aristocratie. Chacun d'eux joue son rôle dans une parodie précise de leurs aînés et supérieurs sociaux, de leurs parasites et de leur conduite. Le premier gamin à gauche est un expert des affaires du monde, qui lit le Farthing Fost et fume la pipe. Le joueur de cartes, au centre, est un petit vendeur de journaux qui s'intéresse, lui aussi, à la politique, car un journal sur lequel on lit "Votez pour ce qui vous concerne, les libertés" est fiché dans son chapeau. Son adversaire triche, en se faisant signaler par un complice les cartes de l'autre. Sans aucun doute le petit vendeur de journaux était flatté d'avoir l'occasion de jouer avec un aussi grand personnage portant perruque carrée, un prince parmi les cireurs de chaussures. Un joueur de dés a gagné tous les vêtements, sauf la culotte, d'un cireur de chaussures, devant lequel se trouvent un petit pot et un verre à liqueur, sens dessus dessous. C'est là une école des roués exclusivement masculine, et non pas une féminine Ecole de la Médisance c'est pourquoi aucun des membres du Club ne prête la moindre attention à la tribulation scandaleuse du héros, à part celui qui lui fait les poches. Le caractère humoristique de ce groupe tient à ce que l'on peut y voir, mutatis mutandis, l'image exacte de ce qui se passe à l'intérieur du White's.

   
V. Marié à une vieille fille

(Burin 17,2 x 22,5 cm)

Pour se refaire, Tom épouse une vieille héritière borgne dans la vieille église de Mary-le-Bone, lieu bien connu des mariages secrets hors de la ville, tandis que l'ouvreuse de bancs s'efforce d'empêcher Sarah Young, sa mère et l'enfant qu'elle a eu du Roué, d'interrompre la cérémonie.

La clé de l'estampe est la Table des Dix Commandements, dont on voit la deuxième moitié, celle qui est consacrée à nos devoirs envers le prochain. Tous les commandements sont fendillés et illisibles, sauf le dernier "Tu ne convoiteras point... de ton prochain.. servante." Le Roué a déjà l'oeil sur la servante de la mariée, qui va devenir la sienne, de plus d'une façon. Un chien plein de vigueur, imitant fidèlement son maître, s'en prend vaillamment à une chienne borgne.

Le Credo est dans un état si lamentable que les seuls mots lisibles sont : "Je crois." Une grosse toile d'araignées recouvre le tronc des pauvres, l'araignée ayant choisi l'endroit de l'église où elle risque le moins d'être dérangée. Une inscription sur la tribune indique que l'église a été "embellie" en 1725. Ou bien le conseil de fabrique a détourné les deniers de la paroisse, ou bien l'église a été bien mal entretenue. La décoration de plantes vertes fait allusion au Désir et à l'Hiver, c'est-à-dire aux passions, et aux attraits de la mariée.

Hogarth a fait un changement intéressant dans le troisième état. Dans le premier état, il se trouvait, par hasard, que le visage innocent de la suivante de la mariée ressemblait à celui de Sarah Young, Si bien que l'intrigue serait devenue incompréhensible si on les avait confondues. C'est pourquoi il a donné à cette femme un aspect qui reste attrayant, mais qui est moins innocent.

   
VI. Le roué dans la maison de jeux
La sixième scène se déroule dans une maison de jeux à Covent Garden, où Tom vient de perdre toute sa fortune. Fou de rage, il s’agenouille et semble injurier le sort. Le chien noir qui lui saute dessus, symbole de mélancolie, suggère que la santé mentale de Tom décline. Tous les aspects du jeu sont représentés : à gauche un créancier fait une reconnaissance de dette à un lord, derrière la table un aristocrate en colère brandit une épée, en face de cette même table un homme qui nous tourne le dos rassemble l’argent qu’il a gagné, tandis qu’un pasteur se détourne, désespéré. L’homme assis en face du feu a des pistolets, c’est probablement un voleur de grand chemin qui vient de perdre son argent. A gauche, un veilleur de nuit montre du doigt la fumée qui s’échappe du plafond, mais la plupart des gens sont trop obnubilés par le jeu pour se préoccuper que le bâtiment soit en feu.
   
VII. Le roué en prison
Tom, l’air abasourdi, est assis dans la prison des débiteurs, The Fleet,. A sa gauche, sa femme le réprimande, à sa droite un serviteur, une chope à la main, et le geôlier demandent de l’argent. Sarah Young est venue lui rendre visite avec leur enfant et s’est évanouie à la vue de son ancien amant. La pièce que Tom a écrite pour gagner de l’argent gît sur la table près de lui ; elle lui a été retournée avec la mention : « J’ai lu votre pièce, elle ne me convient pas ». Dans cette planche, il est fait allusion à d’autres plans tout aussi fous ayant la même finalité : dans le fond, un alchimiste tente de trouver la pierre philosophale, à gauche le débiteur qui aide Sarah vient de laisser tomber un papier sur lequel est écrit : « Nouveau projet pour rembourser les dettes de la Nation ». Au sommet du lit, les ailes font peut-être allusion à un autre plan un peu fou : celui d’Icare.
   
VIII. Le roué à Bedlam
La planche finale montre Tom à Bethlehem Royal Hospital (Bedlam), une institution qui recueillait les pauvres et les aliénés. Tom, presque nu, se contorsionne sur le sol, tandis qu’un gardien de prison lui met les fers et que Sarah la fidèle pleure à ses côtés. D’autres détenus montrent des signes de délire : un musicien et un tailleur, à la droite de Tom ; un amoureux mélancolique et un homme faisant le pape, sur les escaliers. A gauche, dans les deux cellules, on voit des exemples de délire de la part d’autorités religieuses et séculaires : un détenu muni d’un sceptre et d’une couronne semble être assis sur un trône, tandis qu’un autre est en extase mystique. Ainsi, les prétentions de Tom à vivre comme un aristocrate sont vues comme un délire du même genre. Prisons et hôpitaux étaient des objets de curiosité, ils ouvraient leurs portes aux gens qui payaient, telles la dame et sa servante dans cette planche.
   

 

Retour à la page d'accueil de la section Beaux -Arts