"Manet-Velazquez, la manière espagnole au XIXe siècle". Musée d'Orsay, quai Anatole-France, Paris-7e. Tél. : 01-40-49-48-14. Tous les jours sauf lundi de 10 heures à 18 heures. Jusqu'au 5 janvier. Catalogue : 416 p., 45 €.

Plus que la confrontation Manet-Velazquez, l'exposition montre l'influence de la peinture espagnole sur les peintres en France entre 1820 et 1870, l'influence de Murillo et Ribeira puis de Zurbaran, Velazquez et Goya sur les romantiques (Delacroix) et les réalistes de Courbet à Manet première manière.

 

Historique des entrées sorties des tableaux espagnols dans les collections françaises

Sous Louis XVI le comte d'Angevelet (?) ramène d'Espagne pour le futur Louvre le tableau de Murillo Le petit mendiant qui aura une grande influence sur les romantiques et les réalistes avec son sujet misérabiliste et sa palette brune

Les troupes impériales françaises pillent allégrement les collections conquises et ramènent dans leurs bagages des chefs-d'œuvre de Murillo, Ribera et Zurbaran, qui seront restitués après Waterloo. Le maréchal Soult, général qui installe Joseph sur le trône d'Espagne, constitue une galerie privée où Delacroix pourra copier Zurbaran. La collection sera dispersée par ses héritiers.

Plus finaud, Louis-Philippe achète ce que d'autres voulaient voler. En janvier 1838, ouverture de "la galerie espagnole" du Louvre, collection de 400 tableaux rassemblés par le baron Taylor entre 1835 et 1837 pour Louis Philippe. On y trouve notamment une centaine de Zurbaran qui font l'admiration de tous notamment de Théophile Gautier. L'impact est énorme. Ces tableaux viennent, écrit Baudelaire :

"augmenter le volume des idées générales que vous devez posséder sur l'art. Un musée étranger est une communion internationale, où deux peuples, s'observant et s'étudiant plus à l'aise, se pénètrent mutuellement et fraternisent sans discussion".

Avant 1838, de Zurbaran, seul "Saint François mort" était rentré dans les collections publiques en 1806 à Lyon. Le tableau le plus commenté est "Saint François méditant", aujourd'hui à la National Gallery. En effet, lorsque Louis-Philippe s'enfuit, sa collection, payée sur la liste civile (dotation personnelle accordée au roi par le parlement) l'accompagne et est dispersée. La peinture espagnole fait alors encore l'objet de réticence. Jugée "lugubre, dévote, brute et mystique", elle n'est pas du goût de tous.

Reconnaissance définitive sous Napoléon III qui acquiert L'immaculée conception de Murillo raménée par le Général Soult pour la somme la plus importante jamais payée. Le tableau, donné à Franco par Pétain, est aujourd'hui au Prado.

Entre 1841 et 1880, plus de 366 artistes (188 hommes et 178 femmes) reçoivent commande de reproduire les chefs-d'oeuvre du Prado, musée ouvert à Madrid en 1819.

Victor Hugo et Musset développent le mythe romantique d'une Espagne où les forces du corps sont à l'abri des inhibitions du monde moderne. Les tournées en France de danseuses espagnoles, très en vogue, contribuent au mythe espagnol.

 

Influences sur David, Delacroix et les élèves d'Ingres

L'influence espagnole sur la peinture française commence avec David à la fin du XVIII. Le Néoclassicisme français de David est autre chose qu'un académisme mettant fin au rococo décadent d'un Boucher. Son néoclassicisme se ressource auprès des classiques et notamment auprès de Ribeira (Saint Jérôme), le plus italien, caravagesque, des espagnols. Influence aussi de Murillo mais ignorance de ses contemporains Velazquez et Zurbaran.

Ensuite influence possible sur Pierre Prudhon (1758-1823) (la crucifixion) et Gérard Ste Thérèse (mysticisme)

Influence certaine sur Delacroix qui voit Velazquez, Zurbaran et Goya à la galerie Soult. Il étudie le recueil des caprices de Goya dont il tire des esquisses de femmes et l'étude de la peur à partir du croque-mitaine qui influencera sa Médée de Lille.

A ce réalisme expressif, violent et fiévreux, les élèves d'Ingres préféreront retenir la franchise de la peinture espagnole : Théodore Chassériau (1819-1856) autoportrait et le copie d'après Claudio Coello (1642-1693) d'une jeune fille (prise d'abord pour un portrait de sa fille par Le Greco). Influence même sur Corot (1796-1876) : saint François priant dans la nature

Influence espagnole marquée aussi chez Henri Regnault (1843-1871), prix de Rome qui profite d'une épidémie dans la capitale italienne pour rejoindre l'Espagne dont il aime la rudesse primitive :

Le général prime 1869 (général révolutionnaire qui renverse la reine Isabelle) sujet d'histoire moderne, cheval inspiré de Théodore Gericault et foule populaire espagnole se pressant derrière

Gérôme : Exécution du maréchal Ney (1868, Washington) brutalité du cadavre retourné contre terre, tache noire sur fond brun.

 

Influence sur les réalistes

En lieu et place des vierges et des angelots, ils y trouvent des bouffons, des mendiants, des goitreux, des pieds-bots.
Courbet :
1844 Guitarero (New-York cp )pittoresque jusque dans le titre
1851 La danseuse (Belgique)
Enterrement à Ornans, claquer le blanc et le noir des espagnols, ne pas composer, ne pas pyramider

Millet (Ste barbe enlevée au ciel) qui a vu la galerie espagnole et des espagnols dans la collection Thomas Henry à Cherbourg

Théodule Ribot :
Nature morte aux oeufs sur le plat au musée van Gogh
Supplice d'Alanso Conno, (Rouen) accusé à tort d'avoir assassiné sa femme et dont Chenau dira "ça sent Ribeira mais c'est plus fort que Ribeira"

Daumier ?

Influence sur "le groupe de 1863"

Issu du salon des refusés, ce groupe rassemble autour de Baudelaire et de Courbet, Manet, l'astre montant, Fantin-Latour, Whistler (1834-1903) et Legros.

Whistler (non représenté à Paris mais le sera beaucoup au Metropolitan)
1858 fille et mère au piano contraste chromatique des espagnols

Legros:
Portait avec chien, rappelle les chiens royaux de Velazquez
Amende honorable influence directe de Zurbaran (St Bonaventure au concile de Lyon (Louvre)

 

Influence sur Manet

On a trop dit avec Zola que Manet "peint par tache, cherche l'effet avant le détail' que pour lui 'le sujet n'est plus rien, tout donner à la peinture'. Degas qui a copié au Louvre avec Manet l' Infante Marguerite (Nièce d'Anne d'Autriche) de l'Atelier de Velazquez (que copiera aussi Jean-Jacques Henner (1829-1905)) dira que loin de faire table rase du passé, Manet recueille l'héritage romantique (copie de La barque de Dante de Delacroix). Manet s'imprègne des peintures espagnoles, de leurs tonalités, de leurs contrastes. C'est en tout cas ainsi que le perçoit le critique Paul Mantz en 1868 : "Il a pris pour les tons noirs un goût singulier, et son idéal consiste à les opposer à des blancheurs crayeuses, de façon à présenter sur sa toile une série de taches plus ou moins contrastées."

Le Christ au mont des Oliviers: repousse l'aide des anges. Le christ jugé trop réaliste comme le saint Pierre de la libération de saint Pierre par Murillo

1859 : "Buveur d'absinthe" (Copenhague). Figure en pied sur fond monochrome, grande surface non dégradée).

Alors que le Guitarero de Courbet était un sujet encore pittoresque Manet propose une vision d'une Espagne rêvée, primitive et éternelle :

1861 : "Espagnol à la guitare", tableau s'impose au salon de 1861 soutenu par Théophile Gautier .

L'Enfant à l'épée (1860-1861) dont la reproduction sert d'affiche promotionnelle à l'exposition actuelle, est le premier témoignage - noté par Zola - de la parenté de Manet avec la peinture espagnole. On décèle maintenant une influence italienne dans la source et intérêt pour le regard de l'enfant.

1861-62 Lola de Valence quatrain de Baudelaire : "... Le charme inattendu d'un bijou rose et noir..".

 

Portrait de Mlle V... en costume d'Espada (1862, Metropolitan ) Victorine Meuret travestie dans le monde de Goya et de la tauromachie. Première pique à l'espace traditionnel de la peinture. Car la grande figure centrale tenant à bout de bras un éblouissant tissu rose, semble bizarrement posée à plat sur la surface du tableau. Son costume noir absorbant toute la lumière accentue l'absence de relief. Du coup, la scène de picador à banderilles à côté d'elle, ridiculement petite et vue d'en haut, postule une vision impossible, sauf en peinture.

Ballet espagnol 1862 (tout petit)

La mort du christ 1864, Manet déclare à Antonin Proust : le comble de la peinture représenter la souffrance du Christ sur la croix.

La mort du Torero (ou "L'homme mort", Washington, 1864-65), alterne de tout son long bandes blanches et noires, ratatinant toute échappée vers un fond. Car les fonds uniformes, gris, bruns ou noirs que Manet emprunte peut-être aux moines de Zurbaran, ne sont jamais nocturnes ni clairs-obscurs romantiques ou symboliques : ils couvrent simplement la toile. Manet pense payer tribut au Soldat mort de Velazquez, fleuron de la collection Pourtalès-Gorgier. C'est d'ailleurs sous cette appellation qu'il figure lors de la vente de la collection, le 1er avril 1865, et à ce titre que l'achète la National Gallery de Londres où il est conservé désormais. Mais voilà, c'est un faux. Ou plutôt, puisqu'il n'y a pas intention de nuire, une fausse attribution. Aujourd'hui les experts sont aussi unanimes à le retirer du corpus de l'œuvre du maître qu'ils l'étaient au XIXe siècle à lui en donner la paternité. Certains doutent même qu'il ait été peint par un Espagnol (peintre de l'Italie du XVII ?). Certes, mais il mériterait de l'être, répondent en substance les organisateurs de l'exposition. Ils ont raison : si Manet lui-même s'y est trompé, le péché des experts est véniel.

Portrait de Rouvière (Washington 1865) en Hamlet, acteur, tragédien aimé de Baudelaire répond au Portrait d'un acteur au temps de Philippe IV "le plus étonnant morceau de peinture jamais fait", (lettre de Manet à Fantin-Latour en 1865 après avoir visité le Prado)

L'Exécution de l'empereur Maximilien (1867 première version) : inspiré la vision tragique des fusillés du 3 de Mayo de Goya révolté par l'instrusion des armées françaises d'occupation. C'est une scène de troupe, qui saisit et déplie sur la toile le moment du coup de feu collectif. Son impact de destruction est répercuté visuellement à la surface du tableau, dans la dissolution des corps et l'anonymat des fusilleurs comme du fusillé. Et voilà que surgit dans le magma des lignes et des plaques de peintures comme décollées de leur support, la résistance d'un homme, soldat bien campé sur ses jambes, crosse du fusil en bas qui, de son visage sans regard, fait face au spectateur. Manet, encore et toujours, expose le regard à la peinture.

le moine priant (Boston) exposé en 1867 au cabanon juxtaposant l'expo universelle ; capter l'âme et pas seulement la surface des modèles espagnols

Portrait de Zola (Orsay,1868) le Bacchus de Velazquez du Prado avec Olympia et estampe japonaise

Le Balcon (Orsay,1868) transposé des Majas au balcon (Met) longtemps attribuées à Goya

A partir de là, Manet assumera pleinement son rôle de "peintre de la vie moderne" selon le mot de Baudelaire dans un texte sur Constantin Guiz (?)

 

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