Musée d’Orsay

  • du 25 septembre 2012 au 20 janvier 2013

Une soixantaine de chefs-d’œuvre de Manet, Monet, Renoir, Degas, Caillebotte. Certains d'entre eux n'ont pas été présentés à Paris depuis plusieurs décennies tels que le portrait de Madame Charpentier et ses enfants de Renoir (New York, The Metropolitan Museum of Art) ou Nana de Manet (Hambourg, Hamburger Kunsthalle) qui avait figuré à la rétrospective Manet en 1983 (Galeries nationales du Grand Palais) ou encore La Loge de Renoir du Courtauld Institute de Londres.

C’est la mise en scène d’un défilé, avec un tapis rouge entre deux rangées de chaises Napoléon III, qu’a retenue Robert Carsen pour présenter certaines des plus belles toiles. Le «show» s’ouvre avec Le Balcon de Manet dont les verts et les blancs nacrés jurent avec le décor vermillon. Puis les Belles de peinture se succèdent, enfermées hélas devant d’immenses miroirs qui empêchent tout recul sur les œuvres.

Un peu plus loin, voici la reconstitution d’une charmante boutique de modiste et des déshabillés jetés au pied de la très sensuelle Rolla peinte par Gervex dans dernière salle les scènes de plein air sont plantées au milieu d’une fausse pelouse, entre des bancs de jardins et des gazouillis d’oiseaux.

   

Pour mieux saisir l'approche des impressionnistes, des oeuvres de leurs contemporains font contrepoint - Tissot ou Stevens par exemple. Ils sont, eux, plus préoccupés par la représentation de la Parisienne et de la société élégante du Second Empire et des débuts de la Troisième République. La vogue des crinolines sous le Second Empire avait révélé combien ces toilettes aux hallucinants métrages servaient à l’affirmation d’une nouvelle classe bourgeoise au luxe tapageur, singeant l’aristocratie tout en desserrant ses corsets.

La présence d'une cinquantaine de robes et d'accessoires permet la confrontation avec la réalité. La mode féminine du milieu du XIXème est par exemple marquée par l'abandon progressif de la crinoline au profit de la tournure. La mode masculine, plus uniforme, est évoquée avec une vingtaine de costumes.

De la fin du Second Empire au début de la IIIe République, les impressionnistes s’efforcent de traduire les métamorphoses d’un monde en pleine mutation. Soucieux de capter l’air du temps, les peintres cherchent à représenter leurs contemporains dans des activités et des attitudes de leur temps, ainsi qu’à rendre compte de la manière dont ils sont habillés. En s’attachant à représenter la mode de l’époque, Édouard Manet et les artistes de La Nouvelle Peinture réinventent la scène de genre pour en faire un sujet moderne. L’impressionnisme inscrit le vêtement dans la vie quotidienne, célèbre l’élégance de la Parisienne, s’approprie les accessoires et les dessous pour en faire des attributs de séduction, détaille les transformations du vestiaire masculin et révèle les mœurs du moment.

La bourgeoisie triomphe en cette seconde partie du XIXe siècle et va afficher sa réussite et imposer ses tenues vestimentaires. L’Opéra, les théâtres, les salles de concert, les cabarets, les cafés ne désemplissent pas. Dans la bonne société, les femmes élégantes se piquent d’avoir un salon et revêtent jusqu’à six toilettes différentes par jour, du déshabillé du matin jusqu’à la robe de gala, en passant par toute la gamme des robes d’intérieur et des robes de soirée. Mais à côté de la grande bourgeoisie traditionnelle, de nouvelles classes sociales apparaissent, moyenne et petite bourgeoisie qui cherchent à profiter des techniques modernes et des progrès de l’ndustrialisation. Grâce à une presse de plus en plus abondante, des femmes de milieu modeste s’efforcent de copier à bas prix les modes de la haute société. Les nombreuses publications qui leur sont destinées contiennent tout ce qui peut les intéresser, chroniques de la vie mondaine qui fait rêver, conseils d’économie domestique, principes de savoir-vivre mais aussi des conseils ou des modèles de couture et parfois même quelques patrons à recopier ou à commander au journal.


Une nouvelle figure entre en scène. Représentée par les impressionnistes, sous l’appellation de “La Parisienne”, elle transcende les origines sociales. Grande bourgeoise ou simple vendeuse, cousette ou demi-mondaine, “La Parisienne” devient un sujet de prédilection pour les peintres, férus de modernité, et fait rêver le monde entier.

Dans les années 1860, la véritable nouveauté en matière de mode survient avec la crinoline métallique, véritable cage de fabrication industrielle. Les cerceaux concentriques en acier ont le mérite d’être plus légers que la superposition de jupons. La crinoline transforme la femme en un monument textile. En France, la production de ces crinolines d’acier atteindra, au plus fort de leur vogue près de 5 millions d’exemplaires par an avant de disparaître en 1867 pour laisser place à la tournure. La transition s’est opérée ainsi : la cage métallique a commencé par se diviser en deux, puis s’est effacée sur l’avant, tout en restant très présente à l’arrière. Au final, la silhouette apparaît avec un buste raccourci et, de profil, un amoncellement de plis qui tombent en cascade à partir des reins pour amplifier la croupe et former un pouf, le fameux “cul de Paris”.

Les accessoires jouent un rôle essentiel dans la représentation de la mode féminine parce qu’ils sont des instruments emblématiques de la séduction sans lesquels la toilette ne serait pas complète. À chaque peintre, sa manière particulière de les utiliser pour célébrer la sensualité d’un corps ou souligner la grâce des attitudes. La bottine est rarement découverte, et se laisse plutôt deviner sous la jupe. La voilette dissimule le visage et fait ressortir la pureté du teint. L’éventail permet d’avoir les mains joliment occupées. L’ombrelle protège du soleil et participe au jeu de la séduction qui consiste à la fois à se cacher et à se montrer. Le chapeau est une pièce essentielle de la toilette puisque les cheveux sont toujours dissimulés et réservés à la vie intime. La femme, à cette époque ne sort pas sans chapeau.

Les demi-mondaines, les lorettes et les cocottes du Second Empire, les “belles petites” et les “grandes horizontales” de la IIIe République font de la lingerie un outil de séduction. Avec son roman Nana, Zola révèle les dessous du Paris nocturne. Les peintres, Manet en tête, chercheront aussi à décrire l’univers de la courtisane, dans lequel le corset joue le premier rôle. Cet ambigu objet de mode continue encore aujourd’hui à inspirer le monde de la couture. Substitut du corps naturel, le corset est incontestablement la pièce maîtresse de la lingerie. Il gouverne le corps de la femme jusqu’à étrangler sa taille. Que l’on soit mondaine ou paysanne, il est néanmoins inconcevable de ne pas en porter, à tel point qu’il y a les corsets du matin et les corsets de nuit, les corsets d’hiver et les corsets d’été, les corsets de bal, les corsets nuptiaux, les corsets de grossesse, les corsets de voyage ou encore les corsets d’équitation.

La révolution impressionniste précède de peu la naissance du cinéma, inventé par les Frères Lumières en 1895 et porte en germe toutes les recherches photographiques et cinématographiques à venir. En cette fin du XIXe siècle, la parenté entre peinture, photographie et le futur cinéma, visible aussi bien dans le choix des sujets, vues urbaines, scènes de la vie quotidienne, passion pour la modernité, que dans le recours à des cadrages précis et savants, aux expérimentations sur l’éclairage et aux recherches sur le mouvement, donne lieu à de multiples croisements. L’impressionnisme et la photographie sont réunis par une fascination commune pour le déplacement des personnages. Souvent discrets sur l’usage de la photographie, les impressionnistes, plus encore que la génération précédente, furent confrontés à ses développements. Et sans doute, loin de la considérer comme une rivale en peinture, surent-ils découvrir dans ses multiples possibilités , notamment dans le choix des cadres, cette nouvelle mise en espace des lieux urbains qu’ils recherchaient déjà en regardant les estampes japonaises. Si, pour beaucoup de peintres l’influence de la photographie reste souterraine, chez Gustave Caillebotte, elle est tout à fait visible. Caillebotte travaille sur la perspective. Une perspective très fuyante, un peu vertigineuse. Ses tableaux montrent des angles très larges, comme si le peintre avait vu le monde avec un objectif photo et voulait être le spectateur de tout ce qui se passe dans le champ de vision. Les toiles de Caillebotte annoncent le cinéma. Face à Rue de Paris, jour de pluie, on a l’impression que le tableau va s’animer et que les personnages vont se mettre à bouger.

   

Degas est né en 1834, en même temps que la photographie. Contrairement à ses ainés, il se passionne pour ce nouvel instrument, étudiant les séquences de Muybridge sur les courses de chevaux ou copiant les portraits de Disdéri. En I895, l’année même de la naissance du cinéma, il acquiert un appareil, et à soixante ans passés, il va s’essayer personnellement au maniement de la chambre noire, pour une période aussi brève qu’intense, avant d’être de plus en plus handicapé par les progrès de la cécité. Degas photographe privilégie le clair obscur et l’éclairage artificiel et, tandis que les amateurs du temps traquent l’instantané, lui, néglige le mouvement, “digère et photographie au crépuscule”. “Degas avait entrepris de photographier la lune mais elle bougeait”, écrit ironiquement Ambroise Vollard. Il nous laisse une série de portraits ou d’autoportraits, toujours saisis à l’intérieur, à la lueur de lampes. Images d’amis, seuls ou en famille, comme les Blanche, les cousines Manet-Gobillard, Renoir, Mallarmé, les Halévy, son frère René, des inconnus aussi. Tous posent longuement devant l’objectif, attentifs, mais jamais compassés, fixés pour l’éternité.

Le vêtement alimente un flot continu de discussions morales, sociales, esthétiques, philosophiques et littéraires qui s'amplifie au XIXe et au début du XXe siècle. Balzac fut pionnier en la matière en 1830, avec son Traité de la vie élégante, établissant l'acte de naissance de la mode, fruit des régimes démocratiques comme le notera après lui Alexis de Tocqueville. C’est en suivant son exemple que d’autres écrivains, de Barbey d’Aurevilly aux Goncourt, en passant par Mallarmé ou Proust, sans oublier Colette et Cocteau, légiférèrent en matière de mode et de goût. Mais c’est Baudelaire, qui établit l’acte de naissance de la Mode avec Le peintre de la vie moderne. Poète à l’écriture énigmatique, Stéphane Mallarmé se consacre jusque dans les moindres détails à l’écriture d’une revue, La Dernière Mode. À l’aide de pseudonymes comme Miss Satin, Marguerite de Ponty, Zizy ou Olympe, Mallarmé exprime son intérêt pour la mode, qui lui suggère d’inépuisables métaphores. De cette expérience éphémère, Mallarmé se souviendra avoir “tenté de rédiger tout seul, toilettes, bijou, mobilier, et jusqu’aux théâtres et aux menus de dîner, un journal, La Dernière Mode, dont les huit à dix numéros parus servent encore quand je les dévêts de leur poussière à me faire longtemps rêver.”

 

 

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