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Fantin-Latour. À fleur de peau
Musée du Luxembourg
Du 14 septembre 2016 au 12 février 2017

Première rétrospective de l’œuvre de Henri Fantin-Latour (1836-1904) à Paris depuis l’exposition de référence consacrée au peintre dans les galeries nationales du Grand Palais en 1982, cette exposition met en lumière les œuvres les plus emblématiques d’un artiste surtout connu pour ses natures mortes et ses portraits de groupe, et révèle également la part importante occupée dans son œuvre par les peintures dites « d’imagination ».  

Très attaché dès sa jeunesse à la restitution fidèle de la réalité, Fantin-Latour explora également, avec délectation, une veine plus poétique qui le rapproche des symbolistes. L’exposition, qui embrasse toutes les facettes de cette riche carrière, propose un parcours dense rassemblant plus de cent cinquante œuvres, tableaux, lithographies, dessins et autres études préparatoires.  

Suivant un plan chronologique, l’exposition s’ouvre sur les œuvres de jeunesse de l’artiste, en particulier les troublants autoportraits qu’il réalise dans les années 1850-1860. Confiné dans l’atelier, Fantin-Latour trouve alors ses sources d’inspiration au cœur de son intimité : modèles captifs, ses deux sœurs sont mises en scène en liseuses ou en brodeuses, tandis que les natures mortes savamment composées des années 1860 révèlent, déjà, les qualités d’observation exceptionnelles du jeune artiste.  

Les coups d’éclat de la décennie 1864-1872, période charnière dans le travail de Fantin-Latour, sont mis en lumière dans la seconde partie de l’exposition. Mu par de grandes ambitions, le jeune artiste travaille alors intensément, innovant avec panache dans le domaine du portrait de groupe. Avec Le Toast (1864-1865), Un atelier aux Batignolles (1870) et Coin de table (1872), il multiplie les œuvres à valeur de manifestes. La troisième partie de l’exposition présente les séries de natures mortes et de portraits que l’artiste réalise entre 1873 et 1890. Les somptueux portraits de fleurs qu’il brosse alors par dizaines témoignent d’un talent rare dans la composition des bouquets autant que d’une exceptionnelle virtuosité dans le rendu des matières. Ses portraits, qu’ils soient posés ou plus intimistes, illustrent eux aussi un sens aigu de l’observation. L’artiste se lasse pourtant peu à peu des portraits et des natures mortes, ainsi que le révèle la quatrième partie de l’exposition. « Je me fais plaisir » : par cette phrase écrite dans une lettre à Edwards en 1869, Fantin-Latour évoque les œuvres dites « d’imagination » qui occupent une part croissante dans son œuvre au fil des années. Nourries de sa passion pour la musique, inspirées par des sujets mythologiques ou odes à la beauté du corps féminin sous couvert de chastes allégories, ces œuvres révèlent un visage moins connu de l’artiste.  

Entre l’austérité des portraits familiaux, la richesse des natures mortes et la féerie des tableaux d’imagination se dessine ainsi un personnage tout en nuances, dont la personnalité complexe se trouve éclairée par l’abondante correspondance qu’il entretint avec plusieurs de ses amis et artistes de l’époque. L’exposition innove d’ailleurs en consacrant une salle au processus créatif de Fantin-Latour qui, centrée sur L’Anniversaire peint en 1876, présente en parallèle peintures, dessins et lithographies retravaillées à de nombreuses reprises. Cette rétrospective est enfin l’occasion de dévoiler au public un corpus de photographies inédit, saisissant répertoire de formes pour l’artiste.

« Cette exposition est organisée par la Réunion des musées  nationaux – Grand Palais et le musée de Grenoble, en collaboration avec le musée d’Orsay » Commissariat : Laure Dalon, conservateur à la Rmn – Grand Palais, adjointe au directeur scientifique ; Xavier Rey, conservateur au Musée d’Orsay, et Guy Tosatto, directeur du Musée de Grenoble.

ESPÉRANCE ET COURAGE (1853-1873) « La Peinture est mon seul plaisir, mon seul but. » (1855) La vocation d’artiste s’impose très tôt à Henri Fantin-Latour. Né en 1836 à Grenoble, le jeune homme intègre dès 1850 l’atelier parisien d’Horace Lecoq de Boisbaudran, après avoir appris le dessin sous la tutelle de son père. Profondément indépendant, Fantin passe alors de longues heures au Louvre, où il exerce une activité de copiste bientôt admirée et lucrative. Sa première composition d’imagination, Le Songe (1854), reste sans suite. Vouant un culte à la nature, le jeune artiste choisit pour modèles ses sœurs, disponibles et silencieuses ; son propre visage est quant à lui restitué avec des effets dramatiques sans équivalent dans le reste de son œuvre. Sa première tentative pour exposer au Salon, en 1859, se solde par un échec ; Fantin rejoint alors le peintre James McNeill Whistler à Londres. Ce séjour en Angleterre est déterminant pour le jeune homme, qui élargit son horizon social et artistique, et se lie d’amitié avec le marchand d’art Edwin Edwards. « [Je ne peux] vous donner une idée de moi, de mon éducation, de mes premières années, de ma pauvre et tourmentée existence, de mon pauvre esprit, tout nerveux ; toujours replié sur moi-même ; de ma vie, toujours seul, toujours aspirant au bonheur, à la gloire, à l’art ; jamais content, jamais satisfait. J’ai trouvé chez vous le premier repos », lui écrit-il en 1864. Ce sont ses amis anglais qui l’encouragent à réaliser des natures mortes : elles ne tardent pas à devenir son exercice d’observation favori et sa meilleure source de revenus.

AMBITIONS ET INNOVATIONS (1864-1872) « Le travail artistique, c’est tout, je veux faire des chefs-d’œuvre, il n’y a rien d’autre. » (1864) C’est entre 1864 et 1872 qu’Henri Fantin-Latour réalise ses tableaux les plus célèbres. En quelques années se construit l’œuvre d’un témoin privilégié de son temps, d’un peintre pleinement inscrit dans la modernité et pourtant farouchement indépendant. Malgré le succès de ses natures mortes en Angleterre, Fantin-Latour choisit de rester dans le tourbillon parisien : « Paris, c’est l’art libre, écrit-il à Edwards en 1862. On n’y vend rien mais on y a sa libre manifestation et des gens qui cherchent, qui luttent, qui applaudissent ». C’est donc un Fantin plus démonstratif qui expose au Salon de 1864 L'hommage à Delacroix, œuvre profondément originale tant sur la forme que sur le fond. Très hostile aux principes de l’impressionnisme naissant, Fantin-Latour tourne le dos au plein air et ambitionne plutôt de révolutionner l’art de la peinture en suivant la voie originale des portraits de groupe. Si la réflexion que mène le peintre autour du Toast (1864-1865) aboutit à un échec, Fantin s’attire tous les éloges avec Un atelier aux Batignolles (1870), hommage appuyé à Édouard Manet. Le coin de table (1872), dernier portrait de groupe de la période, resté célèbre grâce à la présence de Verlaine et Rimbaud, achève de forger sa réputation de portraitiste brillant et peu conventionnel.

NATURE ET VÉRITÉ (1873-1890) « Voilà une idée qui me préoccupe beaucoup, faire croire à aucun effet artistique. » (1874) La décennie 1870 est celle de toutes les confirmations pour Henri Fantin-Latour. Elle s’ouvre sur les coups d’éclat que constituent les deux derniers portraits de groupe de jeunesse, voit la consécration du portraitiste, tandis que les natures mortes lui offrent un champ d’observation extrêmement fécond. Son équilibre personnel est par ailleurs bouleversé en l’espace d’une dizaine d’années, avec le départ de ses sœurs et le décès de ses parents. « J’ai achevé mon éducation d’homme et de peintre », écrit-il en juin 1871, à l’issue du siège de Paris et de la Commune. Changé par ces épreuves, désormais indépendant, il épouse en 1876 Victoria Dubourg, elle aussi peintre de natures mortes. Sans modifier les principes de son travail, Fantin se tourne vers de nouveaux modèles, exécrant vite les portraits de commande. Austères, loin de toute séduction facile, les portraits de ses proches n’en suscitent pas moins de vibrants éloges. La nature morte quant à elle, souvent pré- sentée comme pure besogne alimentaire, lui offre de profondes satisfactions. Peu connu de son vivant par ses compatriotes, ce pan de son œuvre est pléthorique : on dénombre aujourd’hui plus de 500 toiles peintes par Fantin dans la maison familiale de Buré, dans l’Orne.

FANTIN AU TRAVAIL. D’APRÈS LE NU « Moi je suis fanatique de la photographie. » (1888) Largement inédit, le fonds de photographies d’Henri Fantin-Latour conservé au musée de Grenoble révèle une dimension inattendue du travail de l’artiste. Fantin semble avoir acquis de façon compulsive ces images, objets d’étude autant que de délectation. Si les reproductions d’œuvres anciennes n’étonnent pas chez un homme qui passa l’essentiel de sa jeunesse au Louvre, la surprise est plus grande de découvrir dans l’ensemble de documents donnés par sa veuve à la Ville de Grenoble en 1921 un fonds de photographies de nu aussi conséquent. Comble de l’étonnement, ces clichés se retrouvent parfois transposés sur calque, sur papier ou même sur toile. On comprend dès lors l’usage que Fantin faisait de ces images : à une époque où il pouvait être difficile de trouver des modèles, et pour un homme pudique et exigeant tel que lui, il y avait certainement maints avantages à travailler sur photographies plutôt que d’après modèles vivants.

FANTIN AU TRAVAIL. L’ANNIVERSAIRE (1876) L’Anniversaire, intitulé aussi Hommage à Berlioz, occupe dans la production de Fantin-Latour une place singulière, celle d’une œuvre charnière entre les grands hommages des années 1860-1870 et les « sujets d’imagination » d’inspiration musicale. Fantin tente ici de concilier deux aspects apparemment antagonistes de la peinture, le réalisme et l’imagination, en suivant un processus de création pour le moins original. Le peintre assigne en effet à la lithographie un rôle inédit, celui de support à la préparation du tableau, au même titre que les autres études du corpus : esquisse peinte, calques, dessins préparatoires ou pastel. Présenté au Salon de 1876, ce tableau monumental ne remporte pas le succès escompté mais permet néanmoins à Fantin d’ouvrir un nouveau chapitre de sa vie d’artiste.

FÉERIES (1854-1904) « Je me fais plaisir. » (1869) Dès 1854, en même temps qu’il peint sa première nature morte et ses premiers portraits, Henri Fantin-Latour réalise ses premières compositions d’imagination. Le jeune artiste n’explore pourtant guère cette veine fantaisiste, choisissant de rester fidèle à la nature. Profondément épris de musique, Fantin s’enthousiasme pour les œuvres de Richard Wagner, Robert Schumann et Hector Berlioz, qui nourrissent son âme de poète. L’année 1876 constitue à ce titre un tournant dans sa carrière : avec L’Anniversaire, l’imagination devient pour le peintre une source d’inspiration assumée, tandis que son séjour à Bayreuth, en terres wagnériennes, lui confirme la place que le féérique peut tenir dans l’art le plus moderne et le moins conventionnel. À compter de 1890, Fantin-Latour n’expose plus au Salon que des compositions d’imagination, pour lesquelles il trouve d’ailleurs de plus en plus d’acheteurs. S’il peint encore des natures mortes, la musique, la mythologie ou même la fantaisie pure prennent le pas sur la réalité. De ses années d’observation intense du réel et de copie d’après les maîtres, il a acquis une maturité et une confiance qui l’autorisent alors à prendre de grandes libertés en termes de composition et dans l’application des couleurs