Contre-culture et cinéma : Dennis Hopper à l'oeuvre

Christophe Cormier

Janvier 2009. Editions L'Harmattan. collection Champs visuels. 346 pages dont 40 de photographies et photogrammes. 30,50 euros.
L'exposition récente à la cinémathèque a propulsé Denis Hopper sur le devant de la scène médiatique. Une émission spéciale sur Canal+, une autre sur France-Inter ont surtout contribué à s'interroger sur ce que peut encore d'avoir de contre-culturel cet acteur qui gère aussi bien son image d'icône de la révolte des années 70.

Le livre de Christophe Cormier n'esquive pas cette question et replace la figure de Hopper au sein de ce grand mouvement contre-culturel qui ne souhaita pas rester confiné dans l'underground mais qui rêvait bien d'arriver au pouvoir.

La partie la plus intéressante du livre se trouve dans le travail de recherche richement documenté des thèmes et motifs qui se sont introduits dans l'oeuvre cinématographique de Hopper et qu'il a trouvé dans ses pratiques de peintre et photographe.

L'héritage de l'artiste américain tient ainsi moins aux films postérieurs au bien dénommé The last movie qu'au retour des thèmes et motifs que Hopper a introduit dans son cinéma et que l'on retrouve chez d'autres cinéastes.

Le livre contient aussi une biographie et une analyse des oeuvres de Dennis Hopper.

La contre-culture et sa vocation à devenir culture

Christophe Cormier note que sur les sept films réalisés par Hopper, seuls les deux premiers gardent des traces de l'influence underground et de son expérimentation formelle : Easy rider (1969) et The last movie (1971).

Mais les films underground cherchaient seulement à rembourser leurs frais de fabrication sans chercher à accéder au statut de films majeurs en satisfaisant un micro public pour lequel ils étaient destinés. La contre-culture préfère s'appeler le Mouvement et à l'image du mouvement Beat d'abord périphérique (New York Los Angeles) cherche à gagner les Etats-Unis en entier. Le succès inattendu de Easy rider, les valeurs qu'il véhicule, prouva la possibilité de rencontrer un large public au-delà de la frange anticonformiste attendue. De plus, en 1968, l'essentiel de l'activité contre-culturelle est accompli. C'est le début de la radicalisation du mouvement politique et le déclin du mouvement culturel.

Il n'y a ainsi pas lieu de s'étonner du basculement de Hopper vers le cinéma commercial, marqué symboliquement par son entrée au sein de la Directors Guild of America à la fin des années 80. Celle-ci marque un tournant dans la carrière de Dennis Hopper : l'abandon des positions marginales pour une prise de responsabilité au sein de l'industrie. Le mouvement avait suscité une adhésion suffisamment large pour qu'il trouve dans les instances de décisions des professionnels qui reconnaissent Hopper comme l'un des leurs. Ce n'était là qu'un nouvel avatar du Nouvel Hollywood entendu comme l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle génération d'acteurs et de réalisateurs.

Des luttes amorcées au milieu des années soixante pour les droits civiques et contre la guerre du Viêt-Nam, le Mouvement englobe toutes les aspirations de la jeunesse à l'authenticité et son dégoût de la technocratie répressive.

Que Hopper fasse un usage mesuré voire timoré dans son cinéma après The last movie des thèmes et motifs contre-culturel va de paire avec son éloignement des combats aux thématiques frontales et identifiables qui font preuve d'une conscience sociale sans inventivité formelle. Ainsi du traitement du racisme dans Devine qui vient dîner ce soir ?, de la lutte syndicale dans Sur les quais, de la délinquance juvénile dans Graine de violence, de la condition adolescente dans La fureur de vivre, du rapport à l'autre et différence dans Le garçon aux cheveux verts. Dans ces oeuvres les plus académiques de leurs auteurs, on sent souvent une volonté intégratrice, apaisante, acceptable par le plus grand nombre.

S'associer à James Dean et faire le voeu de réformer toute la pratique de l'acteur, être présent à New York auprès de l'Actor studio participaient de ce désir de faire partie prenante des mouvements de refondation et de modernisation des pratiques artistiques. Le parcours de réalisateur de Dennis Hopper est davantage celui d'un artisan de l'image, plasticien traversé par les influences de l'expressionnisme abstrait, du pop art ou du combine peinture. C'est cet héritage que l'on retrouve chez Gus Van Sant, Vincent Gallo, Larry Clark ou Wim Wenders. Le lien avec ce dernier se justifierait par leur seule pratique photographique et leur obsession du sauvetage documentaire.

Des thèmes et des motifs

C'est ainsi par des thèmes et des motifs définis Théodore Roszak et transposés au cinéma que Christophe Cormier définit l'apport contre-culturel de Dennis Hopper au cinéma.

Pour l'auteur de The making of a Counter Culture (1968), les penseurs du mouvement sont Herbert Marcuse, Norman Brown, Paul Goodman, Allen Grinsberg et Alan Watts alors que les sept personnalités créatrices du mouvement contre-culturel. William Burroughs, Ellen Grinsberg, Ken Kesey, Timothy Leary, Norman Mailer, Tom Robbins et Hunter S. Thompson.

Les thèmes repérés sont ceux des pionniers, qui suggère la refondation, du nomadisme qui renvoie à l'introspection au et non-conformisme, d'un usage des drogues et d'une modification des comportements éloignés du prêt à penser psychédélique du rite comme lien entre corps physique et corps social et surtout la la sublimation de la matière et le dialogue avec les autres arts.

Christophe Cormier note que, si aucune de sept personnalités fondatrices du mouvement pour Roszak n'est un cinéaste, toutes ont entretenu un rapport plus ou moins lointain avec le cinéma. Burroughs a vu son Festin nu adapté par David Cronenberg (1991) et a lui-même joué dans Drugstore cow-boy de Gus van Sant (1989). Allen Grinsberg apparaît, selon IMDB, dans 58 films dont Pull my Daisy de Robert Frank (1958) dans lequel il joue son propre rôle. Milos Forman a adapté Vol au-dessus d'un nid de coucou de Ken Kesy en 1975. Timothy Leary apparaît dans 38 films recensés souvent dans son propre rôle. Norman Mailer a lui-même réalisé Maidstone en 1968. Tom Robbins a contribué à l'adaptation de son Even the cowgirls get the blues (1983) par Gus van Sant. Quant à Hunter S. Thompson son Fear and loathing in Las Vegas a fait l'objet d'une adaptation par Terry Gilliam en 1998 alors que son personnage avait inspiré Where the Buffalo Roam (Art Linson, 1980)

Christophe Cormier recherche dans l'oeuvre de Hopper des motifs issus des thèmes définis par Théodore Roszak, communs à d'autres artistes, principalement des photographes et qu'il transpose au cinéma. Ces motifs (pionniers, drogues, route, rites publics et rites privés, art populaire et académique) il les trouve chez les photographes Robert Walker, Lee Friedlander, Edward Weston (Dunes oceano), Dorothea Lange, Eddie Anderson, Danny Lyon (Crossing the Ohio et Easy rider, Route 90, Alabama), Kathy Grannann, Robert Altman, Larry Clark, Ansel Adams, Lisa Law ou Charles Biddle.

Les rapprochements entre photos d'artistes et photogrammes de films démontrent sans problème, par exemple, la proximité du motif du chemin de croix reprise en ouverture et clôture de The Hot spot avec la photo Route 90, Alabama de Danny Lyon, composition où une rangée de poteaux télégraphiques figure une manière de chemin de croix et le caractère quasi religieux de certains alignements.

La silhouette edwardienne de l'immeuble à corniche d'abord posée par le peintre est devenu un topos de la photographie. Denis Hopper retrouve ainsi Edward Hopper dans Hot spot à travers la prise de vue frontale éliminant la perspective des photographies de Evans (South side corner, Chicago,1964) et Danny Lyon (Lower East side, Manhattan, 1967).

De même, le motif de la station service, élément indispensable du paysage routier que Dennis Hopper reprend dans Easy rider et Chasers provient de Edward Hopper (Gas, 1940, Portrait of Orleans, 1950, Four line road, 1956) mais aussi des photographes Dorothy Lange (Kern country, Californie, 1938) et Robert Frank (Santa Fe, New Mexico, 1959) avec leur contraste appuyé entre l'horizon et la verticalité monumentale des enseignes, les silhouettes fantomatique des pompes et le lettrage voyant.

L'influence de Evans est manifeste dans les objets où l'on ne discerne que la trace de l'homme (Harmony Borax Works, Death Valley, 1938) et (Rhyolite, Nevada, 1938) où comme dans Easy rider les ruines constituent un point de départ du voyage de Wyatt et Bill placé sous le signe de la place grandissante de la nature qui finit par réduire à néant les efforts des hommes.

D'autres exemples travaillent les transpositions où des personnages évoluent dans un décor à la fois typé et banal où l'œil européen verrait les signes d'une américanité intemporelle : les services au comptoir et les serveuses saisies par Rober Frank dans The Americans (1958), le ventilateur, le téléviseur, symptômes d'une ubiquité, d'une permanence mais aussi d'une certaine vacuité (Harry Callahan, Providence #70).


Jean-Luc Lacuve le 13/02/2009.