Mise en scène

Dans la conduite du récit, le flash-back est l'anachronie (discordance entre l'ordre de l'histoire et l'ordre du récit) de loin la plus utilisée au cinéma. Le flash-back est une évocation après coup d'un événement antérieur au point de l'histoire où l'on se trouve. C'est, en reprenant les termes de Gérard Genette, une analepse.

Si l'analepse est inaugurée tout au début de notre tradition littéraire, dès le huitième vers de L'Iliade, Georges Sadoul aurait aussi trouvé dès 1911 dans Noces d'or, un film italien, une telle figure.

Le terme flash-back, repris de l'anglais, indique une soudaineté du retour dans le passé. Il a en effet d'abord été utilisé à la manière d'un éclair mental qui suscite un retour vers le passé interrompant le déroulé narratif du film. Il répond alors à un certain nombre de passages obligés qui en fait une véritable figure de style dans un film.

1- Le flash-back, figure(s) de style.

Le flash-back se décompose en général en quatre étapes : le choc mental qui suscite ou permet le flash-back, l'entrée dans le flash-back, l'explication du traumatisme, la sortie du flash-back.

On en trouve ainsi un bon exemple dans Le pigeon d'argile de Richard Fleischer. Le héros se rend compte que celui qu'il prenait pour son ami est le complice de celui qu'il recherche. Un violent mal de tête le fait alors s'évanouir (étape 1, choc). La vision du personnage se brouille et il se retrouve dans le passé du camp (étape 2, entrée). Il se rappelle alors qu'il s'était disputé avec cet ami qui l'avait traîtreusement assommé par derrière lui ôtant tout souvenir (étape 3, traumatisme expliqué). En se réveillant du passé, le héros voit le revolver braqué sur lui (étape 4, sortie).

Choc puis entrée (voir : entrée dans flash-back)
explication puis sortie (voir : sortie du flash-back)

Le flash-back, éclair mental rétrospectif, a ainsi, selon la terminologie de Gérard Genette, une portée souvent très grande (il remonte à un moment passé souvent lointain de l'histoire) mais une amplitude très brève (le traumatisme violent, tout de suite effacé de la conscience n'a duré que quelques secondes, quelques minutes au plus).

2 - Point d'entrée et point de sortie

Le flash-back s'est longtemps signalé par un fondu-enchaîné et les images qu'il introduit sont souvent surexposées ou tramées. C'est comme un écriteau : "attention ! souvenir"

Une photographie: déclencheur classique du flash-back

C'est encore assez vrai avec Vincent, François Paul et les autres (1974). Tout au plus note-t-on l'intention de rompre un peu avec la tradition avec, comme déclencheur du flash-back (étape 1) la vision d'une photo avec, en montage alterné des gros plans de plus en plus insistants sur le visage de Montand (étape 2). Le point de sortie est différent du point d'entrée puisque l'on retrouve Montand discutant à table avec des amis. Cette sortie du flash-back (étape 4) est figurée par un classique flou. Le flash-back se justifie assez classiquement par le fait que "c'était mieux avant" , la photographie s'anime d'images en noir et blanc (étape 3).

Sortie de flash-back originale : Montand a continué de penser à la photo même quand il ne l'a plus sous les yeux. La sortie, signalée par un flou, se fait lorsqu'il est interpellé à table.

Le changement de photographie ou de format peut également signaler les points d'entrée et de sortie. Dans L'amour en fuite François Truffaut, le présent est en couleur avec des extraits des films narrant le passé de Doinel en noir et blanc.

Dans Bonjour tristesse (Otto Preminger, 1958), Johnny got his gun (Dalton Trumbo, 1971), Les violons du bal (Michel Drach), Tetro (F. F. Coppola, 2009), le présent, terne, est en noir et blanc alors que le passé, heureux, est en couleur.

Le changement de format : Un long dimanche de fiançailles, le passé est raconté au format 4/3.

3- Huit grands types de flashes-back.

Un flash-back peut se porter plus ou moins loin du moment présent, c'est à dire du moment de l'histoire s'est interrompu pour lui faire place. Cette distance temporelle est sa "portée". Il peut aussi couvrir une durée d'histoire beaucoup plus longue qu'un flash, c'est ce que Genette appelle son "amplitude".

La détermination de la portée permet de diviser les flashes-back en deux classes, externe ou interne, selon que le point d'entrée du flash-back se situe à l'extérieur ou à l'intérieur du champ temporel du récit premier. Le premier flash-back de Reservoir dogs est interne, alors que les deux suivants sont externes.

Flash-back interne pour Pink. Il démarre après la première scène de préparation du hold-up au café
Flash-back externe pour Blonde. Il démarre avant la première scène de préparation du hold-up au café

La détermination de d'amplitude permet de différencier le flash-back complet, qui rejoint le récit premier, du flash-back partiel lorsqu'il s'achève en ellipse sans rejoindre le récit premier.

Le flash-back est informatif lorsqu'il revient sur un passé dans lequel le spectateur n'a pas encore été plongé. Il est complétif lorsqu'il comprend des segments qui viennent combler après coup une lacune antérieure du récit, lequel s'organise ainsi par omissions provisoires et réparations plus ou moins tardives. Le récit progresse alors selon une logique partiellement indépendante de l'écoulement du temps par ellipse et flash-back. Dans le cas d'une ellipse, le récit saute par-dessus un moment. Il peut aussi passer à côté d'une donnée. Ce genre d'ellipse latérale, Genette propose de l'appeler parallipse. On omet alors de raconter en son temps un aspect capital de l'histoire, l'action d'un personnage, ou un sentiment profondément ressenti mais tu.

On obtient ainsi huit grands types de flashes-back selon qu'ils sont : externe ou interne, complet ou partiel, informatif ou complétif. Le film totalement raconté en flash-back (Le jour se lève) sera ainsi externe, complet et informatif. Le flash du Pigeon d'argile est externe, partiel et informatif.

Les flashes-back sont en général pris en charge par un personnage mais ils peuvent aussi être pris en charge par le récit. Ainsi le troisième flash-back de Reservoir dogs est imposé par Tarantino sans qu'il le fasse prendre en charge par Blonde à la différence de ceux pris en charge par Pink et White et par Orange dans le quatrième. Plutôt qu'une focalisation interne ou externe du flash-back, il est plus simple de préciser si le flash-back est pris en charge par les personnages ou le récit filmique.

Le flash-back, ou la série de flashes-back, est soit structurellement lié au récit soit isolé. Au sein de ce groupe, le flash-back répétitif revient ouvertement sur un même moment du passé. Ce flash-back en rappel a généralement une amplitude et une durée très brèves. Mais son importance dans l'économie du récit compense largement sa faible extension narrative. Il s'agit par exemple de la remémoration de la pendaison de son frère par Harmonica dans Il était une fois dans l'Ouest ou des parties de chasse avec le père et l'oncle dans Split (M. Night Shyamalan, 2016).

Les flash-back peuvent être hétérodiégétiques, c'est à dire portant sur une ligne d'histoire et donc un contenu diégétique différent de celui (ou ceux) du récit premier. C'est le cas pour un personnage nouvellement introduit et dont le réalisateur veut éclairer les antécédents. Il n'y a pas alors de véritables interférences narratives, le flash-back ne vient pas inquiéter le privilège du récit premier.

portée
raccor- dement
mode
de récit
amplitude
focalisation
structurel
exemple
externe
complet
complétif
3 heures personnages
oui
Rashomon
externe
partiel
complétif
variées personnages
oui
La comtesse aux pieds nus
externe
partiel
informatif
5 minutes personnage
non
Le pigeon d'argile
externe
partiel
complétif
1 heure personnage
oui
White dans Reservoir dogs
interne
partiel
complétif
15 mn personnage
oui
Pink dans Reservoir dogs
externe
partiel
complétif
1 heure récit
oui
Blonde dans Reservoir dogs
mixte
partiel
complétif
des jours personnage
oui
Orange dans Reservoir dogs
externe
partiel
informatif
15 mn personnage
répétitif
il était une fois dans l'Ouest.

 

4- Controverse autour du flash-back

Pour Gilles Deleuze, le flash-back est un procédé conventionnel qui ne sert souvent qu'à rendre artificiellement complexe une histoire qui révélerait son ennui et sa vacuité si elle était racontée au présent. Le flash-back ne s'impose que si lors de son déroulement, il contribue à modifier le présent du personnage qui le raconte. Il faut alors que quelque chose justifie ou impose le flash-back et le marque et l'authentifie comme image-souvenir.

Gilles Deleuze n'accorde pourtant pas au flash-back une grande capacité à décrire les rapports présent-passé. D'une part parce que le procédé du flash-back n'est qu'un moyen parmi d'autres pour exprimer ce que le réalisateur souhaite. Chez Carné, le destin peut se manifester par d'autres voies : figures expressionnistes d'aveugles ou de clochards dont il a parsemé son œuvre, immobilisations et pétrifications des Visiteurs du soir, usage du mime dans Les enfants du Paradis, et plus généralement de la lumière.

Chez Mankiewicz les bifurcations du temps peuvent agir directement, sans passer par le flash-back. C'est notamment vrai pour les deux grands films théâtraux, shakespearien. Dans Jules César, Mankiewicz insiste sur l'opposition psychologique de Brutus et de Marc-Antoine. Brutus apparaît comme un personnage absolument linéaire alors que Marc-Antoine, au contraire, est l'être fourchu par excellence à l'égal de Cléopâtre dans le film suivant.

Gilles Deleuze conclut surtout par une insuffisance de l'image-souvenir et du flash-back par rapport à l'effort de remémoration déclenché par une image optique-sonore. Comme mémoire du monde explorant directement le temps, atteignant dans le passé ce qui se dérobe au souvenir, Gilles Deleuze préfère les travellings de Visconti et de Resnais qui forment une image temps directe. Plutôt qu'un mouvement physique, il s'agit surtout d'un déplacement dans le temps. Au début de Sandra, quand l'héroïne retourne à sa maison natale, et s'arrête pour acheter le fichu noir dont elle se couvrira la tête, et la galette qu'elle mangera comme une nourriture magique, elle ne parcourt pas de l'espace, elle s'enfonce dans le temps. Chez Resnais aussi c'est dans le temps qu'on s'enfonce. Combien le flash-back semble dérisoire à côté d'explorations du temps puissantes, telle la marche silencieuse sur les tapis épais de l'hôtel qui met chaque fois l'image au passé dans L'année dernière à Marienbad.

5 -Justifications du flash-back

Le flash-back accentue le drame en respectant une unité de temps qui donne le ton de l'ensemble du film.

Carné impose le ton du destin qui dépasse la causalité psychologique et qui donne à la fois une nécessité au flash-back et une marque du passé aux images-souvenir. Ainsi dans Le jour se lève, le son de la ritournelle obsédante vient du fond des temps pour justifier le flash-back, et la "colère" emporte le héros tragique jusqu'au fond du temps pour le livrer au passé.

Mankiewicz utilise le flash-back d'une toute autre manière. Dans Eve (1950) ou La comtesse aux pieds nus (1954), il s'agit de fouiller un inexplicable secret, une fragmentation de toute linéarité, de bifurcations perpétuelles comme autant de rupture de causalité. Le flash-back trouve sa justification à chaque bifurcation du temps. Chez Mankiewicz la mémoire attentive conduit le récit. Dans son essence même, elle est voix, qui parle, se parle ou murmure, et rapporte ce qui s'est passé. D'où la voix off qui accompagne le flash-back

La tonalité du film annihile toute possibilité de suspens dans les intrigues de prédestination, lorsque les premières minutes du film donnent la fin de l'histoire. C'est notamment le cas dans Citizen Kane (Welles, 1941), Les tueurs (Siodmak, 1946) ou Ecrit sur du vent (Sirk, 1955) où le personnage principal meurt dès le départ. C'est le processus de l'enquête qui est alors valorisé.

Le procédé est toutefois souvent ambigu car on ne repère pas obligatoirement que celui qui prend en charge le récit est le mort. Ainsi dans Sunset Boulevard (Wilder, 1950) avec la célèbre scène d'ouverture où un reporter prétend nous raconter comment on en est arrivé à ce cadavre flottant dans la piscine. Nombre de spectateurs ne comprennent qu'à la fin que le reporter qui a pris en charge le récit est le mort lui-même. Pareillement dans Mort à l'arrivée (Maté, 1950), Frank Bigelow a beau dire qu'il a été tué en commençant son récit, le spectateur espère toujours qu'un antidote va être trouvé avant la fin du flash-back.

Souvent même le suspense est au contraire renforcé lorsque le héros est dans une position difficile comme dans Le jour se lève, où il est encerclé par la police ou Assurance sur la mort, où on ignore la gravité de la blessure.

L'utilisation maximale du flash-back pour intensifier le suspense est obtenu avec le flash-back complétif partiel où une vérité cachée se révèle progressivement comme dans Marnie, La maison du docteur Edwardes, Pour une poignée de dollars Spider ou avec le flash-back répétitif partiel de Il était une fois dans l'Ouest.

Lorsque le flash-back complétif partiel est pris en charge par différents personnages comme dans Les tueurs, (1946), Eve (1950), La comtesse aux pieds nus (1954) pour montrer les différences d'appréciation sur une même réalité, c'est la difficulté à appréhender celle-ci dans sa totalité qui est valorisée. Il en est de même avec Rashomon (1951) qui se distingue en étant constitué de trois flashes-back complétifs complets ce qui prouve, par là-même, la difficulté de saisir la réalité avec certitude.

A noter les flashes-back mensongers de Le grand alibi et plus récemment de Il faut sauver le soldat Ryan où le flash-back, initialisé dans la première séquence du cimetière, semble être pris en charge par le personnage principal du flash-back, le capitaine, et non par Ryan qui lui survit.

6 - Les principaux films avec flash-back

 

Bibliographie :

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