coffret Yasujiro Ozu, volume II chez Carlotta-Films

Coffret 5 films : Choeur de Tokyo (1931), Une auberge à Tokyo (1935), Été précoce (1951), Le Goût du riz au thé vert (1952), Printemps précoce (1956).

Editeur : Carlotta, février 2007. Langue : japonais. Sous-titres: français. Son : mono. Format : 1,37.

Suppléments :

  • J'ai été diplômé, mais… (1929)
  • Voyage dans le cinéma : Été précoce (15 min). Un retour sur les lieux du tournage d’Été précoce.
  • Figures : Linges, fumées et poteaux électriques (7 min). D’hier à aujourd’hui, un parallèle sur les linges, fumées et poteaux électriques, éléments récurrents dans la filmographie d’Ozu.
  • Voyage dans le cinéma : Le goût du saké (15 min). Un retour sur les lieux du tournage du Goût du saké.
  • Figures : Affiches et panneaux (10 min). D’hier à aujourd’hui, un parallèle sur les affiches publicitaires et les panneaux lumineux, éléments récurrents dans la filmographie d’Ozu.
  • J’ai vécu, mais… (1983 – 118 min) : Un documentaire inédit de Kazuo Inoue

Livret écrit par un collectif d'étudiants dirigé par Diane Arnaud avec filmographie complète de Yasujiro Ozu.

 

Dans un très élégant coffret imitant la toile sur laquelle se déroulent les génériques d'Ozu, Carlotta-Films propose un remarquable travail de réédition qui rend grâce à l'élégance de la palette des gris qu'affectionnait Ozu. Par comparaison, les extraits de films figurant dans les bonus, tirés d'anciennes copies, apparaissent bien trop contrastés.

De plus, ce n'est pas cinq films mais six qui sont présentés car les douze minutes sauvées de J'ai été diplômé, mais… (1929) peuvent être considérées comme la version définitive de ce film. L'un des deux partiellement sauvé avec Combats amicaux à la japonaise et qui permet de comptabiliser officiellement 37 films conservés sur 54 dans la filmographie d'Ozu

Six films indispensables donc car ils offrent un panorama presque complet des genres dans lesquels s'est investi Yasujiro Ozu : les films d'étudiants, les films sociaux, les films sur le couple et ceux sur le délitement des liens parents-enfants. Manque seulement un exemple des films de genre (comique ou noir).

J'ai été diplômé mais… (1929) appartient au genre des films d'étudiant comme Jours de jeunesse (1929) J'ai été recalé, mais.. (1930) Où sont mes rêves de jeunesse ? (1932) et Vive la fac ! (1936)

Chœur de Tokyo (1931) et Une auberge à Tokyo (1935) appartiennent au genre des films sociaux dans le contexte de la crise économique mondiale qui touche le Japon à partir de 1929. On y retrouve des enfants, un peu moins égoïstes qu'ils le seront plus tard chez Ozu, car conscients des difficultés de leurs parents souvent obligés d'en arriver à des solutions extrêmes (vol ou travail humiliant) pour subvenir à leurs besoins. Dans ces films, Ozu manifeste une extrême attention au cadre souvent presque trop composé avec un premier plan très visible et une grande profondeur de champ. Ces deux films, dont les similitudes avec ce que sera le néoréalisme italien sont manifestes, sont plus réussis que Femme d'une nuit, le premier essai de Ozu sur ce thème.

Le Goût du riz au thé vert (1952) et Printemps précoce (1956) entourent, dans la filmographie d'Ozu, Voyage à Tokyo (1953) réédité par ailleurs. Ils analysent tous deux les difficultés du couple. Le premier sur un ton finalement assez chaleureux, le second beaucoup plus ancré dans la réalité du quotidien des employés de bureau dénués d'espoir et d'idéal.

Chef d'œuvre du coffret, Été précoce (1951) analyse la dilution des liens parents enfants après Printemps tardifs (1949) et avant Voyage à Tokyo (1953).

Gilles Deleuze y avait trouvé l'exemple parfait des espaces quelconques obtenus par déconnexion ou vacuité qui rapprochait le cinéaste japonais des néoréalistes italiens :

"Les faux-raccords de regard, de direction et même de positions d'objets sont constants, systématiques. Un cas de mouvement d'appareil donne un bon exemple de déconnexion : dans Été précoce, l'héroïne avance sur la pointe des pieds pour surprendre quelqu'un dans un restaurant, la caméra reculant pour la garder au centre du cadre ; puis la caméra avance sur un couloir, mais ce couloir n'est plus celui du restaurant, c'est celui de l'héroïne déjà revenue chez elle. Quant aux espaces vides, sans personnages et sans mouvements, ce sont des intérieurs vidés de leurs occupants, des extérieurs déserts ou paysages de la nature. Ils prennent chez Ozu une autonomie, même dans le néo-réalisme qui leur maintient une valeur apparente relative (par rapport à un récit) ou résultante (une fois l'action éteinte). Ils atteignent à l'absolu, comme contemplations pures, et assurent immédiatement l'identité du mental et physique, du réel et de l'imaginaire, du sujet et de l'objet."

La précision absolue de la mise en scène dans ce deuxième opus sur le délitement de la famille après Printemps tardif et avant Voyage à Tokyo, Fin d'automne et Le goût du saké en fait un film digne de ces chefs-d'œuvre d'Ozu.

Les bonus proposent deux "voyages dans le cinéma" qui retrouvent les lieux du tournage et offrent quelques informations intéressantes sur le contexte culturel et une séries de "Figures", successions de différents plans sans commentaires. Mais le plus interessant, outre le remarquable J'ai été diplômé, mais…, est la biographie très complète avec de nombreux extraits de films de Kazuo Inoue J’ai vécu, mais… (1983 – 118 min) : :

"..plutôt que des récits violents, Ozu aime les histoires douces : une fille se marie et quitte ses parents, des parents délaissés font face à la mort.

Au temple Engakuji à Kamakura est gravé sur la pierre tombale d'Ozu l'idéogramme " Mu " qui signifie "rien ". Kazuo Inoue en révèle l'origine : fin 1937, Ozu est mobilisé pour la guerre avec la Chine. Son ami cinéaste Yamanaka meurt et septembre 1938. A cette occasion, un prêtre chinois écrit l'idéogramme Mu pour Ozu. C'est cet idéogramme qu'il fera graver sur sa tombe.

L'idéogramme du prêtre chinois tracé en 1938
La tombe de Yazujiro Ozu

La vie nous enlève nos illusions. Chez Ozu , les enfants regardent le monde de façon simple et naïve. : " Tu dis que nous devons devenir des grands hommes mais toi tu ne l'es pas " ...

Ozu retrouve Kogo Noda pour Printemps tardif (1949) alors que leur dernière collaboration remontait à Une jeune fille pure. Ensemble, ils écriront les treize derniers fils d'Ozu dans cette philosophie exprimé au travers du dialogue entre Noriko et son père auquel elle demande de rester finir sa vie avec lui. "J'ai 56 ans lui dit-il. Ce n'est pas ça la vie. Tu dois construire ta vie avec Sakate. Je n'y ai pas ma place. On appelle ça le cycle de la vie. Le bonheur il ne faut pas l'attendre. Il faut le créer....

un carton de générique sytématique de 1949 à 1962 : scénario de Ysujiro Ozu et Kogo Noda

Chishu Ryu qui fait sa première apparition dans J'ai été recalé mais... puis Gosses de Tokyo sera l'interprète de prédilection de Ozu qui dès le départ lui demande d'arrêter ses mimiques expressives et de jouer comme s'il était un masque de no...

Les autres acteurs confirment ce précepte de minéralité et de précision. un acteur doit être capable de faire deux fois la même chose si un acteur croit faire quelque chose de bien, ça rate à presque tous les coups. Les acteurs ne doivent pas essayer de nouvelles choses à chaque prise. Je ne peux pas les tailler comme des arbustes. Ozu les acteurs sont des marionnettes mais le marionnettiste doit leur donner une âme.

Grand nombre de prises avec un jeu qui se raidit de plus en plus : cadre rigoureux au centimètre près avec une caméra au niveau du tatami."

L'opérateur avec la caméra utilisée par Ozu.. dans les positions qu'il lui imposait

 

J.-L. L. le 28/02/2007

 

Carlotta-Films
 
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Yasujiro Ozu, Coffret volume II